Piqués de préjugés

Les utilisateurs de drogues injectables, surveillés par les policiers et inquiets de rendre leur consommation publique, laissent leurs seringues sur le campus de l’UQAM, faute de moyens de disposer du matériel souillé.

Itinérance, maladie ou violence, les consommateurs de drogues injectables ont le dos large. La peur contribue à l’exacerbation des préjugés et des stéréotypes à l’égard des utilisateurs de drogues injectables (UDI), déjà marginalisés. Des membres de l’Association pour la défense des droits et l’inclusion des personnes qui consomment des drogues du Québec (ADDICQ) affirment que malgré un travail de responsabilisation de la consommation, il réside une peur chez les usagers de se faire coincer par la police.

Pour l’organisme d’aide aux personnes marginalisées Spectre de rue, les préjugés qu’affrontent les UDI causent en partie l’accumulation de seringues à l’UQAM. Après quelques mois d’hésitation, l’université s’est montrée en faveur de l’installation d’un site d’injection supervisée (SIS) au Cactus, situé sur la rue Sanguinet. L’UQAM encourage les démarches proactives, selon la Directrice des relations avec la presse, Jennifer Desrochers. «Par ailleurs, l’ouverture de tels sites répond à un enjeu de santé publique, en plus d’avoir des liens avec la question plus générale de l’itinérance, précise-t-elle. L’UQAM reste ouverte à la recherche de solutions pour le quartier et, comme ses voisins, elle demeure préoccupée par les éléments liés à la toxicomanie.»

Cette peur initiale des centres d’injection supervisée semble liée à la crainte de côtoyer des UDI sur le campus de l’UQAM, croit le membre de l’ADDICQ, Alain**. «Je pense que c’est vraiment l’image qu’on se fait de la personne qui consomme, qui commet des méfaits, qui est malade, qui est pauvre. Et quand on consomme, on fait la promotion de la consommation. C’est tellement glamour, on invite tout le monde à consommer», lance-t-il avec sarcasme.

Aussi membre de l’ADDICQ et infoman* de L’Injecteur, Gedi** croit que l’image que le public se fait des toxicomanes est erronée. «Oui, le consommateur, tout le monde en a une image dans sa tête, mais le consommateur responsable qui est à ses affaires, on ne le voit pas nécessairement. Il ne dérange pas, il est presque invisible. Il y en a beaucoup de consommateurs de ce genre-là.» Si le profil du toxicomane type reste flou, c’est qu’il présente de nombreux visages. Selon les membres de l’ADDICQ rencontrés, chaque personne répondra de façon différente à sa drogue et disposera de son matériel souillé à sa manière. «Il y a parfois des gens trop défoncés pour prendre soin de leur matériel, d’autres qui n’en ont rien à foutre, explique un membre de l’ADDICQ, Jérôme**. Il y en a toujours eu et il y en aura toujours.»

Pour Gedi, les risques reliés au transport de matériel d’injection apeurent les consommateurs au point de le laisser derrière eux. Ceux-ci veulent éviter d’être accusés de possession de drogue. L’ADDICQ travaille d’ailleurs de concert avec le Service de police de la Ville de Montréal pour régler le problème des seringues à la traîne. «Il faut quand même avoir une garantie que les gens ne se feront pas harceler, que la présence d’une seringue souillée sur la personne ne sera pas une incitation à pousser à voir si la personne transporte de la drogue, assure Jérome. Sinon, ça sert à rien de tenter de responsabiliser les UDI.»

Un flou réside entre le mandat du corps policier et l’action réelle sur le terrain. Il contribue à la déresponsabilisation des usagers à l’égard de leurs déchets. «Ce que je vois beaucoup à Berri-UQAM, c’est quand quelqu’un a du matériel sur lui, ils vont lui demander son manteau, vont fouiller ses poches et faire vider ses sacs», explique le responsable de l’ADDICQ Montréal et infoman* de L’Injecteur, Étienne. La situation éveille un sentiment d’insécurité chez les consommateurs qui préfèrent se cacher pour consommer et disposer de leurs seringues souillées à même le territoire de l’UQAM. L’avis est partagé par la travailleuse de milieu du volet proximité chez Spectre de rue, Sophie Auger. «Ce n’est pas très clair, ça reste à la discrétion du policier», confirme-t-elle. Un dépliant d’information sera rendu disponible sous peu pour les usagers, les professionnels et le corps policier pour mieux comprendre ce qui est autorisé ou non, assure Sophie Auger. «Selon moi, il y a aussi la disponibilité des bacs [qui est en jeu]. Ce n’est pas tout le monde qui affiche ouvertement sa consommation.» Disposer du matériel souillé est problématique puisque les bacs de récupération ne sont pas disponibles partout à l’UQAM et se retrouvent souvent à l’extérieur des cabines des toilettes. «On a besoin d’une atmosphère où les gens vont se sentir en sécurité. C’est un problème social, j’admets, mais il faut travailler ensemble, poursuit Gedi. C’est un travail de longue haleine de responsabiliser le consommateur.»

L’injection peut aussi faire peur, même si elle est assez près d’autres dépendances, selon Sophie Auger. «L’impact peut être différent, mais les gens ont tendance à s’en distancer parce que ce n’est pas proche de leur réalité.» Pour l’intervenante à Spectre de rue, il faut maintenir le message de sensibilisation auprès des consommateurs et poursuivre l’implantation de bacs de récupération de seringues. L’objectif est aussi d’offrir plus de services aux usagers dans les pharmacies, organismes et institutions. L’ouverture des centres d’injection supervisée permettrait de réduire les déchets dans l’environnement et les injections dans les toilettes de l’UQAM. Elle croit que ces mesures limiteraient les inconforts ressentis par les toxicomanes et la population de l’université.

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*L’Injecteur est un journal produit par et pour les utilisateurs de drogues par injection (UDI). Les infomans fournissent de l’information aux UDI, aux professionnels de la santé et des services sociaux et à toutes personnes susceptibles de mieux connaître le milieu de la consommation.

**Les toxicomanes ou ex-toxicomanes rencontrés ont tenu à conserver leur anonymat en ne dévoilant pas leur nom complet.

Crédit photo : Frédéric Comeau

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