Travailler pour des miettes

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 mars 2023

Le 1er mai 2023, le salaire minimum au Québec dépassera tout juste la barre symbolique des 15 $ de l’heure, pour se fixer à 15,25 $. Ce montant, qui aurait semblé utopique il y a quelques années seulement, est désormais équivalent aux prix d’un trio dans une chaîne de restauration rapide.

D’après l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le revenu viable à Montréal pour une personne habitant seule s’élevait à 29 577 $ en 2022. « Le revenu viable, c’est un calcul qu’on fait depuis plusieurs années à l’IRIS. L’objectif est de déterminer le montant nécessaire, après impôts, pour sortir de la pauvreté », explique Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’IRIS depuis 2007. 

Une personne n’est pas dans une situation de pauvreté si elle peut mener une vie décente, selon l’Institut. « Le revenu viable, présentement, est probablement plus élevé que [celui de] l’année passée », avertit Mme Couturier. Elle rappelle que l’inflation a atteint 5,9 % au Canada entre janvier 2022 et janvier 2023.

Le revenu viable pour une personne vivant seule équivaut à un taux horaire de 18 $, à raison de 35 heures travaillées par semaine. Nous sommes déjà loin du salaire minimum. Évidemment, pour les étudiants et les étudiantes de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), travailler un nombre d’heures aussi élevé n’est pas conseillé. Toutefois, les membres de la communauté étudiante font preuve de débrouillardise. Ceux et celles qui ont quitté le nid familial vivent souvent en colocation. Un autre calcul est donc nécessaire pour comprendre la réalité uqamienne. Je vous propose une estimation faite maison ー à prendre toutefois avec un grain de sel.

Imaginez-vous une étudiante de 1er cycle à l’UQAM. Elle habite en colocation avec deux autres personnes dans un 5 ½. Via la plateforme Facebook Marketplace, j’ai identifié l’appartement à trois chambres le moins cher à une distance raisonnable de l’UQAM. Le logement est situé sur Le Plateau-Mont-Royal et le loyer est de 1235 $, pour un montant mensuel de 412 $ par personne. Raisonnable, me direz-vous. Aubaine : le chauffage et l’électricité sont inclus ! 

Maintenant, il faut additionner les autres composantes du budget. Commençons avec l’épicerie. D’après le Rapport annuel sur les prix alimentaires canadiens, publié en décembre 2022, le panier d’épicerie pour une année pour une femme entre 19 et 30 ans s’élève à 3814 $ par année, soit près de 320 $ par mois. 

La facture mensuelle d’un réseau Internet à vitesse modérée grimpe à 53 $, alors qu’un réseau cellulaire de base avec appels et textos illimités et 7 Go de données cellulaires s’élève à 35 $ par mois. Le coût d’une carte opus mensuelle pour l’étudiante, un ajout essentiel, est de 56,50 $ par mois. Les frais universitaires s’établissent à plus ou moins 2000 $ par session, manuels inclus, ce qui représente 500 $ par mois. 

Finalement, arrondissons à la baisse ー pour laisser une chance à notre étudiante ー et supposons que le budget alloué aux meubles et aux électroménagers, vêtements, loisirs, santé et soins personnels, divertissements et imprévus n’est que de 500 $ par mois en moyenne. Ce montant  peut paraître énorme, mais il permet à peine de s’offrir quatre soirées dans un restaurant modeste, un bon manteau d’hiver et une petite armoire du IKEA.

Si nous additionnons toutes ces composantes, le budget de l’étudiante est de 1876,50 $ par mois. À un taux horaire de 15,25 $ et en tenant compte de l’impôt, l’étudiante devrait travailler près de 35 heures par semaine pour subvenir à ses besoins. Et le budget ci-haut est très conservateur. L’étudiante n’a pas de voiture, n’alloue pas beaucoup d’argent à des activités et vit dans un appartement très abordable. 

Avec ce salaire, l’étudiante doit faire le choix entre obtenir un diplôme d’études supérieures et maintenir un niveau de vie décent. Il faut sans doute augmenter le salaire minimum au Québec. Pour permettre un niveau de vie décent à toute la population, mais surtout pour permettre aux étudiants et aux étudiantes de se consacrer à leurs études et pour bâtir le Québec de demain.

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