Plusieurs batailles ont été remportées au fil des années dans la course vers l’égalité hommes-femmes, mais il reste plusieurs problèmes dans le « système d’injustice », dénonce l’avocate new-yorkaise Me Lauren Curatolo lors de la première édition du colloque Féminismes et droit à l’UQAM.
Un auditoire composé d’une centaine de femmes et d’une dizaine d’hommes a assisté à six conférences liées au féminisme juridique le 25 novembre dernier. Tenus par des avocates, des professeures et des représentantes de groupes de soutien aux droits des femmes, les discours et les témoignages portant sur la place des femmes dans la pratique du droit se sont succédés toute la journée au pavillon Aquin.
Les conférencières ont dévoilé tour à tour des expériences de travail dénigrantes, « objectifiantes » et « marginalisantes ». Les femmes juristes, particulièrement les stagiaires, peineraient à être prises au sérieux et n’oseraient pas tenir tête aux figures d’autorité à l’intérieur et à l’extérieur des palais de justice, dénoncent les conférencières.
Me Francesca Cancino a raconté l’une de ses premières expériences en tant qu’avocate en droit criminel. Après avoir plaidé des arguments pertinents devant un juge loin d’être collaboratif, ce dernier a accueilli sa requête non pas parce qu’elle était fondée en droit, mais parce que Me Cancino avait un « si beau sourire ».
Se succèdent ensuite les invitations à sortir de la part de leurs clients et les commentaires déplacés sur leur tenue vestimentaire. Tel qu’exposé par Me Francesca Cancino et confirmé par les autre panélistes, il est fréquent qu’en pleine salle de cours, les femmes soient appelées « Madame » plutôt que « Maître » par des juges et des avocats.
Il n’est pas rare qu’elles se fassent aussi appeler par leur prénom, témoignent quatre juristes lors du quatrième segment du colloque. Maître Lauren Curatolo, avocate criminaliste à l’aide juridique de New York, dévoile avoir été appelé « bitch » par un procureur dans le cadre de son travail.
Sur papier
Au Québec et au Canada, la Charte des droits et libertés de la personne et la Charte canadienne des droits et libertés condamnent la discrimination fondée sur des caractéristiques personnelles. Pour les conférencières venues témoigner au colloque, la loi ne reflète pas la réalité vécue par des milliers de femmes côtoyant le milieu juridique. « Sur papier, les lois finissent par sembler égalitaires, mais c’est dans leur application et dans les effets qu’on constate qu’elles sont formulées par des personnes qui ne sont pas directement affectées par les phénomènes », dénonce la membre du comité Femmes et Droit de l’Université de Montréal Léa Boutrouille. Bien qu’elles représentent 52 % des membres du Barreau du Québec selon le rapport Barreau-mètre publié en 2017, les avocates fréquentent un milieu encore largement dominé par les hommes.
Devant une Assemblée nationale composée de 88 hommes et 37 femmes, le manque d’intégration au niveau législatif met un frein à la progression du système légal, déplore Léa Boutrouille. Selon elle, les courants jurisprudentiels et les recommandations émises par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse peuvent contribuer à adapter le droit aux enjeux actuels, mais « c’est important que, dans le domaine de la législation, on entende aussi des groupes d’intérêts qui vivent des expériences sensibles par rapport aux phénomènes étudiés ».
Vers le féminisme intersectionnel
Si féminisme et droit étaient en tête d’affiche lors du colloque qui affichait complet, les voix des minorités et de la communauté LGBTQ+ ont elles aussi été entendues. Un discours présenté par Me Vanessa Tanguay a entamé la journée sur une note d’ouverture et de solidarité. L’avocate a non seulement plaidé pour une reconnaissance de la discrimination envers les femmes, mais aussi pour la reconnaissance légale de l’intersectionnalité, l’effet combiné de différents facteurs discriminatoires tels que le sexe, la « race », l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Devant la réussite de l’événement de samedi, Me Raphaëlle Desvignes, membre du comité féministe de l’Association des juristes progressistes et coorganisatrice du colloque, prévoit répéter le projet annuellement. La publication d’un ouvrage collectif aux Éditions du remue-ménage est également à surveiller.
photo: SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS
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