Route cahoteuse

Ambulanciers aptes à faire des manoeuvres plus spécialisées que leurs collègues, les soins préhospitaliers avancés sont rares au Québec. À la traîne en Amérique du Nord, le gouvernement québécois tarde à former en renfort ces supers-ambulanciers.

Le corps de la patiente ne bouge plus qu’au rythme du massage cardiaque. L’équipe réduite de soins préhospitaliers avancés (SPA) arrive d’urgence sur les lieux. Nathalie Robin et Charles-Alexandre Campbell constatent que la patiente est déjà décédée. La journée file et les cas s’accumulent. Lors de l’intervention suivante, Nathalie Robin doit argumenter avec la réceptionniste qui ne comprend visiblement pas pourquoi une seconde équipe d’ambulanciers est déployée. Dans l’ascenseur vers la chambre du patient, la SPA se désole : «les gens ne comprennent pas qui nous sommes.» Méconnus, les ambulanciers au plus grand pouvoir d’action ne sont plus que 11 à Montréal. Le programme universitaire prévu pour assurer leur relève tarde à ouvrir ses portes.

Grâce à différents protocoles autorisés par le Collège des médecins, Nathalie Robin et Charles-Alexandre Campbell peuvent utiliser des techniques de réanimation ou d’assistance respiratoire plus rapides et précises et administrer un plus grand nombre de médicaments. L’équipe actuelle de SPA est le fruit d’un projet pilote au début des années 2000. Un changement de gouvernement en 2003 a mis la suite du projet en veilleuse.

Montréal aurait besoin d’un peu plus de 100 SPA, selon l’évaluation récente d’un sous-comité du ministère de la Santé. Plusieurs fois reportée, la majeure à l’Université de Montréal (UdeM) pourrait accueillir, en janvier 2014, une première cohorte de 20 étudiants. «On est vraiment orienté pour janvier, mais tout dépend des délais d’acceptation», nuance le médecin responsable du programme universitaire de 60 crédits, Dave Ross. À l’heure actuelle, il ne reste plus qu’à faire accepter les protocoles finaux par le Collège des médecins à temps pour respecter les échéanciers de présentation d’un nouveau programme à l’UdeM. Le Docteur Ross est confiant de voir le programme ouvrir ses portes, car les budgets ont finalement été acceptés au niveau ministériel en septembre dernier.

Les soins qui étaient déjà prodigués par l’équipe pilote de SPA depuis 2005 sont maintenant légitimés par la loi adoptée en 2012. «Huit ans plus tard, je suis très heureux d’avoir vu passer le règlement», s’exclame le docteur responsable de la formation de la première équipe de SPA, Marcel Boucher. Formés par des médecins d’Urgence Santé et diplômés en Ontario, les 11 effectifs restants d’une équipe initiale de 20 SPA sont toujours les seuls à porter ce titre à ce jour au Québec. En 2003, le gouvernement libéral, nouvellement arrivé au pouvoir, n’a pas considéré comme prioritaire de poursuivre le projet. «La nouvelle équipe nous a plus ou moins fait comprendre qu’elle ne voulait pas d’autre cohorte», raconte Marcel Boucher concernant l’arrêt du programme. Dans les dernières années, l’arrivée de nouveaux acteurs dans le réseau de la santé a ravivé l’intérêt et un programme universitaire a été annoncé pour 2011.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, la lenteur du processus est justifiée par la multiplicité des acteurs impliqués : le Collège des médecins, Urgence Santé, l’Université de Montréal, le ministère de la Santé, l’Hôpital Sacré Coeur.

Le Québec en retard

Le Québec est seul à ne pas avoir une équipe officielle de soins préhospitaliers avancés. «On est de 20 à 25 ans en arrière sur le reste de l’Amérique du Nord», se désole le Dr Boucher. Tout comme les pharmaciens, les sages femmes et les infirmières, les ambulanciers veulent élargir leur champ d’intervention. Ce pouvoir n’est pas facile à acquérir dans la province francophone, défend le docteur Boucher. «Croyez-vous que dans une province où la rémunération des médecins est calculée à l’acte, les médecins sont pressés de déléguer?» demande-t-il. Il soutient, toutefois, que depuis 2000, les actes médicaux sont de plus en plus partagés.

Le Collège des médecins soutient aujourd’hui le partenariat entre les professionnels de la santé. S’il est parfois accusé de retarder le processus, il répond qu’il se base sur des critères prédéfinis pour assurer la sécurité de la population. Formation et compétences doivent être jugées acquises par l’ordre professionnel afin que le verdict soit favorable. «C’est comme un livre de cuisine, on peut lire une recette, mais à la fin ce n’est pas tout le monde qui la réussit», image le secrétaire adjoint du Collège des médecins, Jean-Bernard Trudeau.

En attendant le prochain appel, les deux supers ambulanciers sont stationnés près de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau et regardent les avions passer. «Nous on pense en terme de secondes et eux en terme d’années. On ne regarde pas du même côté de la longue vue», s’exclame Charles Alexandre Campbell en parlant du gouvernement face à l’ouverture du programme universitaire. Tout comme les avions qui défilent dans le ciel, les deux SPA ont bien hâte de voir une équipe officielle enfin atterrir pour servir la population.

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Une guerre de mots

«Les paramédics : pas ambulanciers, pas infirmiers, mais ils sauvent des vies» titrait le Dimanche-Matin dans les années 80. Par définition, le mot ambulancier signifie conducteur d’ambulance. Ceux qu’on nomme, à tort, ambulanciers se proclament paramédics. Le ministère de la Santé utilise le titre technicien ambulancier. «Le terme paramédic, nous on se l’est approprié parce que c’est celui qui est utilisé partout sauf au Québec», explique le soin préhospitalier d’urgence et enseignant au collège Ahuntsic, Jean-Jacques Lapointe.

Photo: Marie Kirouac-Poirier

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