Qui définit les règles du jeu ?

Pubs ludiques, salles d’évasion, expositions, vernissages et des milliers de jeux plus diversifiés et plus accessibles que jamais : impossible d’échapper à la vague de démocratisation des jeux de société qui déferle sur le Québec, une popularité dont témoignent les événements qui les ont mis en vedette ces dernières semaines à Montréal.

La 6e édition du Salon du jeu de société de Montréal, qui avait lieu du 30 novembre au 1er décembre au Marché Bonsecours, suivie de l’exposition À toi de jouer! Jeux de société plus grands que nature présentée au Musée McCord du 8 décembre au 8 mars, sont deux événements qui se sont partagé la scène ludique avant les Fêtes. 

« Aujourd’hui, il y a un jeu pour tout le monde. C’est même rendu que je joue avec mon beau-père, qui jamais de sa vie ne s’était intéressé à ça ! », dit Martin Lavoie, un créateur de jeux de société qui en imagine depuis son enfance. Avec un groupe de passionnés, il se retrouve chaque semaine au café ludique montréalais La Récréation pour tester ses prototypes, dans l’espoir d’aboutir à un produit commercialisable. 

Parmi eux se trouve Thomas Dagenais-Lespérance. À moins de trente ans, ce lauréat de la Personnalité Ludique de l’année 2019 a déjà publié deux jeux, dont Decrypto, admiré à l’international comme l’un des meilleurs jeux de party, et Wayfinders, sorti aux États-Unis cette année. « Aujourd’hui, il y a à la fois une simplification et une diversification des jeux, explique-t-il. En 1980, la marche était plus élevée pour jouer à un jeu de société [de stratégie]. »  

Les vingt dernières années ont vu l’industrie du jeu de société exploser au Québec, avec notamment l’arrivée sur le marché des jeux dits européens, c’est-à-dire des jeux de stratégie ou d’adresse. Pour Martin Bouchard, directeur en marketing et développement chez Plan B Games depuis 16 ans, cette tendance s’est accélérée au cours des cinq dernières années. « Le Randolph, ça a apporté beaucoup pour le jeu au Québec, parce que le café-bar fonctionne super bien, c’est facile d’accès pour les nouveaux joueurs. Il est plus facile de convaincre ses amis, quand on voit une foule jouer à des jeux, qu’on n’est pas un extraterrestre », indique celui dont la compagnie, un éditeur et distributeur de jeux québécois, a publié des jeux comme Azul et Century, lauréats de nombreux prix et distribués dans une trentaine de pays.  

Pour le groupe de concepteurs rassemblés à La Récréation, cette démocratisation du jeu s’explique par une ouverture de plus en plus grande. « Être geek, être nerd, c’est presque rendu cool, avec par exemple [l’émission] Big Bang Theory, ou le Seigneur des Anneaux», croit le créateur Martin Lavoie. « La différence maintenant est la quantité de [jeux] mass market — populaires — et de [jeux] hobby. Il y a de plus en plus de monde qui connaît les jeux de société », ajoute son confrère Jonathan Vallerand, un autre concepteur de jeux qui rêve de tenir dans ses mains le produit de son imagination. 

Une industrie de plus en plus compétitive

Qui dit plus de jeux, de distributeurs et d’éditeurs, dit plus de concurrence. « Il n’y a pas une recette. Il y a plusieurs façons de réussir à se démarquer, et ça évolue aussi avec le temps. Ce qu’on faisait il y a cinq ou dix ans, ce n’est pas la même chose qu’aujourd’hui », avance Martin Bouchard. 

Ce qui fait un bon jeu ? « Le matériel, l’expérience immersive, émotionnelle, intellectuelle. Le côté design, l’élégance. L’originalité, créer quelque chose qui se démarque, qu’on n’a jamais vu », lancent en rafale les membres du groupe rassemblé à la La Récréation. « Les jeux d’aujourd’hui sont plus thématiques, plus immersifs. S’il n’y a pas un univers, on ne se différencie pas », confirme Bryan Burgoyne, assis autour de la table. « Les gens sont tannés de voir leurs écrans toute la journée. »

Si le jeu de société est un produit culturel tactile, qui s’apparente en ce sens au livre, il a également un côté social. « C’est une activité rassembleuse, et il n’y a pas beaucoup de produits culturels qui permettent de faire ça. C’est un produit matériel, tangible, mais ça reste aussi une activité cognitive, qui favorise la réflexion », explique Simon Jutras, président de Ludo Québec, l’organisme responsable du Salon du jeu de société de Montréal.    

Favoriser la visibilité

Pour une deuxième année consécutive, le Salon du jeu de société de Montréal se tenait au Marché Bonsecours, dans la foulée du Salon du livre dont il tire son inspiration. La frénésie était palpable au troisième étage du bâtiment avec vue sur le fleuve. Les grands noms de l’industrie — Asmodee, Luma, Randolph, ÎLO307 — avaient installé leurs kiosques dans les trois grandes pièces inondées de soleil. Partout, des tables entourées de joueurs et joueuses attentifs et attentives. L’avantage du salon : il permet d’y tester la marchandise. Simon Jutras ne cache pas son espoir de voir émerger une identité québécoise du jeu de société : « Oui, on est inspiré par les États-Unis, par la France, mais on n’est pas que ça. Ici, on le voit, on a la capacité de faire plus avec moins. »

Ce bouillonnement créatif n’est pas en voie de s’essouffler. « Je ne crois pas qu’on puisse dire encore que Montréal est une plaque tournante du jeu de société, comme on peut l’être au niveau des jeux vidéos […], mais dans le fond, je pense que oui […] peut-être que ça viendra », espère Martin Bouchard.

Photo FLORIAN CRUZILLE MONTRÉAL CAMPUS

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