Une carrière sans entracte

Il est désormais possible de s’abonner à des groupes de musique en échange d’un versement mensuel. Malgré cette plus grande proximité avec le public, la rentabilité de ce système et ses possibilités d’expansion restent à prouver.

Depuis plus d’une décennie, des groupes connus à l’échelle internationale comme U2 ou Radiohead offrent des abonnements à leurs inconditionnels. Le phénomène était pourtant inconnu au Québec jusqu’à ce que Misteur Valaire et Radio Radio emboitent le pas. Ces formations offrent pré-ventes et exclusivités, espérant réinventer leur relation avec leurs fans. Si le succès de la méthode reste encore à démontrer, des adeptes commencent doucement à faire rouler la machine.

Le quintette électro-jazz québécois, Misteur Valaire, s’est lancé dans le vide en avril 2013 avec ce projet-pilote. «Il y a un risque financier évident qui peut faire peur à certains. La charge de travail a également l’air d’une énorme montagne, mais les bénéfices en valent vraiment la peine», affirme le gérant du groupe, Guillaume Déziel. Selon lui, la rentabilité d’un tel modèle reste encore à prouver. «Pour l’instant c’est peu lucratif, il n’y a que nos fans finis qui s’y sont joints. Il faut maintenant vendre l’expérience d’être un abonné de Misteur Valaire», explique-t-il. D’après le gérant, l’apport du public est devenu une composante très appréciée des membres du groupe. «On organise des focus groups avec des abonnés pour qu’ils nous fassent part de leurs commentaires. Ça devient une relation très enrichissante où chaque parti donne à l’autre, c’est comme une relation de couple !», décrit avec humour Guillaume Déziel.

Les limites du système sont évidentes, croit le musicien indépendant Vincent Blain. Il offre sa musique gratuitement sur la Toile depuis quelques années. «Sans une grande base de fans, il est strictement impossible d’espérer imiter Misteur Valaire ou Radio Radio», croit-il. Guillaume Déziel tient le même discours et estime qu’il est essentiel d’avoir un minimum de 30 000 fans Facebook pour se composer une solide base d’abonnés. Il pense également que la demande constante de nouveau matériel peut rebuter certains artistes. «Une fois que l’animal est créé, il faut nourrir la bête méthodiquement, avec un échéancier pré-déterminé», explique-t-il. Vincent Blain pense aussi que pour réussir une telle aventure, tout passe par la préparation. «Si je pouvais avoir un tel système, je planifierais plusieurs mois à l’avance pour ne pas me heurter à un mur», ajoute le musicien.

L’abonnement à un artiste a également des impacts marketing qui ne font pas l’unanimité. Chroniqueur musical pour L’Actualité, Mathieu Charlebois s’interroge sur les retombées pour les ventes en magasin. «Égrainer un album sept ou huit mois sur le Web, sans que les chansons passent à la radio, je ne suis pas convaincu que ce soit réellement gagnant», pense le journaliste. Le directeur de Bonsound, la maison de disques de Radio Radio, Jean- Christian Aubry donne quant à lui un appui inconditionnel à l’initiative de la formation. «Le buzz entourant le groupe n’est pas atténué par ce système. Ils sont plus populaires que jamais !», croit le directeur. D’après lui, cela pourrait même entrainer un phénomène de bouche-à-oreille bénéfique pour les ventes.
Un club sélect
Plusieurs obstacles peuvent entraver le chemin des artistes intéressés à imiter ce genre d’initiative artistique. «Il faut avoir un talent de communicateur et un bon contact avec son public. Un chanteur comme Louis-Jean Cormier pourrait se le permettre, car il est en relation directe avec ses fans et il en a une bonne base», analyse Mathieu Charlebois. Selon lui, prendre plusieurs mois, voire des années pour écrire du nouveau matériel ne serait plus possible si tous les artistes se ralliaient à ce modèle. «Quelqu’un comme Daniel Bélanger, qui donne un son particulier à chaque album et qui prend beaucoup de temps entre chaque parution, montre que tous les artistes ne peuvent fournir à la semaine ou au mois», précise-t-il.

Bien qu’intéressé par l’idée d’abonnement à un artiste, Vincent Blain se questionne sur le rapport qualité/prix offert par Radio Radio ou Misteur Valaire. «Je crois sincèrement que faire payer les fans pour du matériel de seconde qualité, c’est plus un coup marketing qu’autre chose», déclare-t- il. Le musicien pense que ce contenu devrait être offert gratuitement pour ne pas berner le public. Mathieu Charlebois considère également qu’un manque de constance peut nuire au modèle. «La qualité n’est pas toujours au rendez-vous, le besoin de fournir sans arrêt peut nuire en fin de compte à l’artiste», avance le chroniqueur.

Pour Mathieu Charlebois, le projet a un avenir reluisant, malgré les nombreuses limites qu’il peut entraîner. «J’aime beaucoup le concept, il est novateur et intéressant, soutient le chroniqueur. Sans que ça devienne une norme, je vois bien quelques groupes aller dans cette voie dans les prochaines années.»

Crédit photo: Jimmy Francoeur, Facebook

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