Pas cher la blague

Les petites scènes des bars sont les terrains d’entraînement de prédilection des humoristes de la relève. Mais quand les projecteurs s’éteignent, il n’est pas facile pour ces recrues de joindre les deux bouts.

Dominic Massicotte, alias Dom Massi, roule sa bosse dans les bars avec le groupe humoristique les Pic-Bois depuis quelques années. Si les applaudissements sont valorisants, ils ne remboursent pas les factures. Les quelques dollars qui sont payés à l’entrée de ces spectacles d’humour ne sont pas suffisants pour garnir le compte en banque des humoristes de la relève.

Le cachet moyen pour une soirée d’humour dans un bar varie entre 25 et 50 $ pour un numéro de 8 à 12 minutes. Pour Dom Massi, ce montant est encore moins élevé. «Comme je fais partie d’un duo, je dois séparer mon salaire. Souvent, je me retrouve avec seulement 12,50 $ pour la soirée», raconte-t-il. Selon la directrice générale de l’Association des professionnels de l’industrie de l’humour (APIH), Francine Dubois, le défi est de taille pour un nouvel humoriste qui tente de vivre de son art. «C’est loin d’être évident pour la relève quand les soirées d’humour paient 25$ par numéro. Il faut qu’ils en fassent beaucoup pour être capables de se payer un loyer», lance-t-elle.

D’après la directrice, il n’est pas facile d’améliorer cette situation. Le rodage dans les bars est incontournable pour tout humoriste qui souhaite se tailler une place dans le milieu. Francine Dubois affirme qu’il serait très difficile d’instaurer un cachet minimum dans ce genre de soirée. «Il va toujours y avoir des jeunes qui vont être prêts à travailler pour se faire connaître à des cachets dérisoires», avance-telle. Les gens de la relève n’ont pas les moyens de décliner des offres de spectacles, fait remarquer l’humoriste diplômé de l’École nationale de l’humour en 2008, Éric Trottier. «Dans le milieu, c’est la loi de la jungle, lance l’homme de 24 ans. Si tu refuses de faire un spectacle, les gérants savent très bien que d’autres vont vouloir le faire à ta place.»

Si les soirées d’humour sont une bonne façon de tester de nouveaux numéros, leur abondance peut parfois poser problème, remarque Dom Massi. «Les propriétaires de bar ne peuvent pas se permettre d’augmenter leurs prix d’entrée pour nous payer plus, parce qu’ils perdraient des ventes, souligne-t-il. On ne se sent pas exploités, mais c’est sûr que 25 $, ce n’est pas assez.» Le gérant des Mardis de l’humour au pub Saint-Ciboire, Junior Girardeau, qualifie le salaire qu’il offre aux humoristes de raisonnable. «Ce sont les gens qui me contactent pour participer à mes soirées et non l’inverse, stipule-t-il. C’est une façon pour eux de travailler du matériel.»

Sur l’île de Montréal, les cachets sont généralement les moins élevés. «Les endroits plus établis, comme le bar Chez Maurice, donnent souvent de plus gros montants. C’est aussi le cas quand on va plus loin, par exemple en région, parce qu’ils paient nos frais de déplacement», relate Dom Massi. Les bars anglophones sont les moins généreux en ce qui concerne les salaires, note Éric Trottier. L’humoriste originaire d’Ottawa évolue aussi dans le milieu de la relève anglophone depuis des années. «Si on se compare, on n’est pas à plaindre, remarque-t-il. Le même numéro pour lequel je reçois 25$ dans un bar francophone ne serait carrément pas payé si
j’allais le tester dans un endroit anglophone.»

Bien qu’il baigne dans l’univers de la relève depuis maintenant cinq ans, Dom Massi doit combiner divers petits boulots pour joindre les deux bouts. «Il n’y en pas beaucoup qui peuvent vivre de l’humour dès leurs débuts, concède-t-il. Tu ne peux pas lâcher ton emploi du jour au lendemain pour devenir humoriste.» Éric Trottier, qui travaille à temps partiel à la billetterie de la compagnie Juste pour rire, admet lui aussi que la carrière qu’il a choisie comporte son lot de difficultés. «L’humour, ce n’est pas évident, surtout au début. C’est un milieu où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus», confesse-t-il.

Malgré tout, les deux humoristes s’entendent sur un point : les soirées d’humour demeurent formatrices. «Les bars nous incitent à écrire beaucoup et à avoir de l’audace», fait valoir Dom Massi, en soulignant aussi la générosité du public. Éric Trottier affirme quant à lui que l’aspect financier demeure secondaire. «Si tu choisis l’humour simplement dans le but de gagner ta vie ou d’être connu, tu n’aboutiras à rien, lance-t-il. Au bout du compte, ton vrai cachet, c’est le rire des spectateurs.»

Crédit photo: JBellegarde, Facebook

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