Un trou dans le bâillon

Photo Pasacale Nycz - La chargée de projet en matière de SLAPP au Réseau québécois des groupes écologistes, Gabrielle Ferland Gagnon, sensibilise les uqamiens aux méfaits des poursuites-bâillons.

 

Le ministre de la Justice du Québec a déposé un projet de loi contre les poursuites-bâillons. Des groupes sociaux et environnementaux multiplient les moyens de pression pour bonifier le texte avant son adoption.

Le Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE) et ses partenaires lancent ce mois-ci une campagne pour presser le gouvernement à adopter au plus vite le projet de loi 99. L’initiative du ministre de la Justice, Jacques P. Dupuis, vise à contrecarrer le recours aux poursuites judiciaires lorsque celles-ci ont pour but de museler la contestation de certains individus dans le cadre de débats publics.

Les premières poursuites-bâillons (SLAPP pour Strategic Lawsuit Against Public Participation) intentées dans la province concernaient les groupes environnementaux luttant contre des cas de mauvaise gestion des déchets (voir encadré), relate Gabrielle Ferland-Gagnon, chargée de projet en matière de SLAPP au RQGE. Pour la juriste, c’est toutefois le cas d’Écosociété qui a éveillé la conscience publique. Depuis avril 2008, la maison d’édition est en effet victime de deux poursuites judiciaires totalisant 11 millions de dollars. Les compagnies minières canadiennes Barrick Gold et Banro Corporation soutiennent que la parution du livre Noir Canada, qui critique leurs méthodes d’exploitation en Afrique, aurait gravement nui à leur réputation.

«Le droit à la réputation, en droit québécois, jouit d’une bien meilleure protection que le droit à la liberté d’expression», explique Gabrielle Ferland-Gagnon. Le droit à la réputation est d’ailleurs le plus souvent invoqué par les poursuivants lors de SLAPPs. «Mais le projet de loi 99 viendrait rétablir l’équilibre», se réjouit-elle.

Une première canadienne
Avec le projet de loi 99, le Québec pourrait bientôt être la première province canadienne pénalisant le recours aux poursuites abusives. Les représentants des principaux partis politiques québécois et de groupes sociaux et environnementalistes se sont réunis ce mois-ci à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale pour discuter du projet de loi.

Le projet est explicitement intitulé Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics. Il donne aux juges le pouvoir de refuser une poursuite lorsque celle-ci a pour effet de museler la contestation citoyenne. Le fardeau de la preuve est alors renversé et le poursuivant doit démontrer à la cour le bien-fondé de sa plainte. Si le tribunal rejette ses arguments, il peut condamner le poursuivant à verser une compensation financière au défendeur.

La Ligue des droits et libertés appuie également le projet du ministre Dupuis. «La liberté d’expression et la participation du citoyen au débat public sont enfin reconnues», estime Lucie Lemonde, porte-parole du groupe.

L’effet dissuasif de la loi ne sera toutefois pas suffisant pour empêcher le recours aux poursuites abusives, croit Lucie Lemonde, également professeure au département de sciences juridiques de l’UQAM. C’est pourquoi la Ligue des droits et libertés s’est associée aux éditions Écosociété, à l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique et au RQGE pour présenter des amendements au projet de loi devant la Commission des institutions.

Le regroupement souhaite d’abord la création d’un fonds d’aide aux victimes de poursuites abusives qui n’ont généralement pas les moyens financiers pour affronter le processus judiciaire. La maison d’édition, comme bien des victimes de SLAPPs avant elle, doit recourir à des campagnes de financement. «Sans le soutien de la population, il y a longtemps qu’on aurait mis la clé sous la porte», affirme Élodie Contoie, porte-parole d’Écosociété.
Les groupes veulent également que le projet de loi s’applique aux causes déjà en cours devant les tribunaux.

Tous souhaitent étendre la loi aux règlements hors cours et aux mises en demeure qui peuvent aussi avoir un effet bâillon. Écosociété a par exemple été victime d’une seconde mise en demeure de Barrick Gold lui interdisant d’employer le terme «SLAPP» dans le cadre de sa campagne de financement. Élodie Contoie n’en revient pas. «C’est absurde de nous bâillonner parce qu’on dénonce le fait d’être bâillonné!»

Climat d’unanimité
Malgré tout, les groupes citoyens s’entendent sur la légitimité du projet de loi 99. «C’est un bon projet et il doit être adopté au plus vite», soutient Élodie Contoie. Le Parti libéral du Québec, le Parti québécois et l’Action démocratique du Québec sont tous trois en faveur de son adoption.
Le projet sera bientôt présenté aux députés, puis sera évalué article par article, en Commission parlementaire. Il s’agira de la dernière étape avant le vote du projet de loi par l’Assemblée nationale.

Rappel
Dans son édition du 26 mars 2008, Montréal Campus faisait état de deux poursuites-bâillons ayant eu lieu au Québec.
En 2005, l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) a été victime d’une poursuite-bâillon d’American Iron and Metal. La compagnie poursuivait pour 5 M$ l’AQLPA pour s’être opposée à l’implantation d’une usine de déchiquetage de carcasses d’automobiles à Lévis. L’AQLPA a alors répliqué par une contre-poursuite de 2,9 M$ et a lancé la campagne Citoyens taisez-vous! En décembre 2007, le litige s’est soldé par une entente hors cour dont les termes n’ont pas été rendus publics.

En août 2006, un couple de la municipalité de Cantly a également été victime d’une SLAPP. Serge Galipeau et Christine Landry ont été poursuivis pour 1,25 M$ en diffamation après avoir milité contre un site d’enfouissement de la compagnie Dépôt de matériaux secs (DMS) Thom. Le ministre de l’environnement de l’époque, Claude Béchard, a par la suite retiré le permis d’exploitation de DMS Thom et celle-ci a dû s’en remettre à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

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