Guérisseurs ou arnaqueurs?

Illustration Jo-Annie Larue

 

Ils s’annoncent dans les journaux comme des médiums capables de régler les problèmes d’amour, de travail ou d’impuissance sexuelle en un temps record. Certains garantissent même un désenvoûtement en moins de 48 heures. Montréal Campus a tenté l’expérience.

Dans un immeuble assez banal, M. Aboulis* procède aux consultations. Habillé en prêtre africain, le marabout reçoit ses clients dans son appartement un peu défraîchi. L’odeur des huiles se mélange à celle de la nourriture. Sur les murs sont accrochés de petits tapis décoratifs ornés de mosquées et de calligraphie arabe. Une ambiance de sérénité profonde se dégage de la pièce sans meubles où se déroule le maraboutage.

M. Aboulis s’assoit par terre et ouvre un grand livre où les lettres arabes se confondent. Le Coran. Le client est invité à y glisser les 50 dollars que coûte la consultation. Lecture de l’avenir et analyse des solutions possibles aux problèmes du visiteur sont au menu.

Pendant qu’il procède aux incantations, le téléphone ne dérougit pas. Posé à côté de lui, un agenda où les rendez-vous de la journée sont marqués. Un client par demi-heure. Sur le tapis, de nombreux bocaux jonchent le sol. Certains sont remplis de riz, d’autres d’herbes et de plantes.

Les murmures du marabout cessent. Il annonce que deux potions seraient salutaires au client. Elles coûtent 150$ et donneraient des résultats en moins de deux semaines. La prochaine cliente sonne déjà impatiemment à la porte.

Des traditions ancestrales
«Les marabouts ont été l’un des vecteurs de diffusion de l’Islam en Afrique sub-saharienne. C’est une tendance mystique locale présente au sein de l’Islam sunnite, explique une spécialiste de l’histoire socio-religieuse de l’Afrique du sud du Sahara et de l’Islam à l’Université Laval, Muriel Gomez-Perez. Le marabout est un chef spirituel et un guide lettré pour de nombreux musulmans qui deviennent ses disciples. Il est censé dispenser un savoir, apporter le Salut dans le monde d’ici et dans l’au-delà. Le tout forme une communauté avec ses rites, ses codes et ses pratiques particulières.»

Très présents en Afrique sub-saharienne, les marabouts se sont déplacés ici avec les vagues d’immigration africaines. «Nous avons emmené avec nous les traditions de nos ancêtres pour les mélanger aux habitudes occidentales», note M. Saliso, médium africain originaire de la Guinée possédant un don héréditaire. «Maintenant, ce ne sont plus seulement nos frères africains qui viennent demander notre aide, mais des gens de toutes les origines. Il n’y a pas de clientèle cible. Certains croient en nos pouvoirs, d’autres nous consultent par curiosité et nous adoptent ensuite. Les préjugés tombent dès qu’on prouve que nos dons sont réels.»

«Les marabouts travaillent à partir du Coran et possèdent des pouvoirs que le commun des mortels n’a pas. Il s’agit de dons héréditaires qu’ils développent tout au long de leur vie», explique Youssouf Manné, Sénégalais d’origine et grand connaisseur de la culture religieuse. Chaque médium africain possède son domaine d’expertise et ses propres méthodes. Si certains sont polyvalents, d’autres se spécialisent dans certains domaines, comme la protection, la chance aux jeux ou l’impuissance sexuelle. Ils le précisent d’ailleurs dans leurs annonces publicitaires.

Guérisons et maraboutage
Il faut distinguer les guérisseurs des marabouts médiums. «Les guérisseurs utilisent la médecine traditionnelle pour traiter des affectations physiques, comme l’impuissance. Ils sont très nombreux au Sénégal et au Mali, mais moins au Québec. Ces marabouts soignent leurs patients avec des décoctions d’écorces, de racines et de feuilles, avec des prières et même avec des mouvements. Les médiums se concentrent davantage sur les problèmes abstraits, qu’il s’agisse de la réussite dans les affaires ou de l’amour. Ils préparent des potions et des talismans», explique Youssouf Manné.

Les marabouts guérisseurs sont considérés plus puissants que des simples voyants. «Ils sont des magiciens, tout simplement. Il ne faut pas toujours comprendre pour croire. Les marabouts sont capables de réaliser de vrais exploits. En voir un vrai à l’œuvre suffit pour semer le doute», affirme M. Saliso. Le maraboutage se résume à la prière, aux incantations et à la méditation, des pratiques qui drainent énormément d’énergie, selon M. Saliso. «On se dédie aux autres. Je l’ai fait à temps plein pendant dix ans, sans jamais avoir recours à la publicité. À présent, je ne fais pas plus d’une consultation par mois», raconte ce médium qui est récemment retourné aux études pour se bâtir une carrière plus conventionnelle.

M. Barry, qui annonce ses services dans différents journaux, vit du maraboutage. «Les clients ne manquent pas. La plupart du temps, les gens me consultent pour le retour de l’être aimé. Il est rare que je les déçoive, et ils me recommandent souvent par la suite.» M. Kebba abonde dans le même sens. «Les gens n’hésitent pas à payer s’ils sont satisfaits. Ils me font confiance et reviennent. Ils profitent de mes dons et moi, je profite de l’argent que je gagne!»

Les charlatans existent tout de même, car le maraboutage n’est pas réglementé. «C’est certain qu’un peu n’importe qui peut se déclarer guérisseur, ce qui met en doute la compétence de certains. L’appât du gain pousse plusieurs à s’inventer des dons, mais ils ne font pas longue route», affirme Youssouf Manné.

Préjugés et méconnaissance
M. Saliso croit que les Occidentaux ne sont pas assez ouverts au maraboutage en raison de leur manque de foi. Selon lui, cela les empêche de concevoir l’existence d’actions surnaturelles. «Il faut aller au-delà des simples sciences occultes pour comprendre les véritables marabouts guérisseurs. Un vrai marabout est capable de prédire l’avenir de manière extrêmement précise et de régler de nombreux problèmes seulement à partir du nom et prénom de son client. La date de naissance n’est pas essentielle, mais elle représente l’ADN de la personne. Les médiums africains qui pratiquent au Québec l’utilisent pour rassurer leur clientèle et fournir davantage de détails sur leur situation.»

«Dans leurs pays d’origine, les marabouts sont très respectés, voire vénérés, considérés comme ayant des pouvoirs miraculeux. La tombe de certains marabouts, après leur mort, fait l’objet de pèlerinages», précise Muriel Gomez-Perez.

«Les gens d’ici ont une fausse image des guérisseurs africains. Je ne m’habille pas en prêtre lorsque je sors et il n’y a rien qui pourrait vous faire croire que je suis marabout lorsque vous me voyez. Je suis un médium jeune, civilisé et moderne, qui utilise ses dons pour améliorer la vie des gens lorsque nécessaire. Et c’est très souvent nécessaire, parole de marabout!» conclue M. Kebba.

*Le nom de ce marabout a été modifié afin de préserver son anonymat.

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