Études à deux vitesses

McGill augmente le prix de son MBA de 1600%

L’université la plus réputée de la métropole privatise son programme MBA malgré le désaccord du ministère de l’Éducation. Un précédent qui risque de faire boule de neige dans les autres universités québécoises.

29 500 dollars. C’est le montant annuel que devront débourser dès cet automne les étudiants du Master of Business Administration (MBA) de l’Université McGill pour s’inscrire au prestigieux programme de deux ans. Une somme presque vingt fois plus élevée que les frais d’inscription de 1 673$ demandés en 2009. McGill renonce ainsi aux quelque 12 000$ qu’elle reçoit en subventions et frais de scolarité du ministère de l’Éducation pour chaque étudiant inscrit au MBA. 

La direction de la célèbre université anglophone estime cette augmentation nécessaire pour assurer la pérennité d’un programme en déclin depuis 1995. «C’était de plus en plus difficile de le développer et de maintenir une qualité de haut niveau, a affirmé au Devoir la rectrice de McGill, Heather Munroe-Blum. Nous ne pouvions plus continuer à faire payer le MBA par nos étudiants en arts et science, qui n’ont pas le même salaire.» Selon McGill, les subventions consenties aux programmes moins coûteux servaient à combler le déficit structurel du MBA. «Des étudiants en art au salaire précaire subventionnaient des étudiants qui vont gagner 100 000$ par année, souligne le président de l’Association des étudiants de deuxième et troisième cycles de l’Université McGill (AÉÉDTC), Daniel Simeone. Toutefois, notre association est contre cette hausse. Nous n’avons même pas été consultés par l’université.» 
Un effet boule de neige

Cette augmentation des frais de scolarité effraie le milieu étudiant. «On craint que cette mesure soit reprise par d’autres universités comme HEC, Concordia ou même l’UQAM, s’inquiète le président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) Jean Grégoire. Si McGill réussit à imposer cette hausse sans intervention du ministère, ce sont des mesures qui pourraient devenir fort alléchantes pour d’autres universités. Ce serait dangereux pour l’accessibilité aux études supérieures.» L’UQAM soutient pour sa part ne pas envisager une telle hausse des frais de scolarité. «Il n’est pas question de privatiser le programme, tranche Robert Desmarteaux, directeur des programmes MBA de l’UQAM. La mission de l’UQAM, c’est l’accessibilité. Quelqu’un qui a sa propre entreprise ne peut pas se payer un programme de 30 000$ par année.»
Deux poids deux mesures?

Les MBA pour cadres (ou Executive MBA) ne sont pas des programmes pour l’étudiant lambda. Pour être accepté à celui offert par l’UQAM, quatre années d’expérience comme cadre dans une entreprise sont nécessaires. Les 356 étudiants de cet exigeant programme ont en moyenne 36 ans et un revenu annuel d’environ 100 000$. Dans ce cas, est-il vraiment nécessaire de subventionner ces professionnels déjà comblés financièrement? «C’est parce que les prix étaient raisonnables que plusieurs dirigeants d’OBNL ont obtenu un MBA ici, estime Daniel Simeone de l’Université de McGill. Si les coûts étaient plus élevés, les finissants ne pourraient pas travailler pour ces organismes.» 
Vers un système à deux vitesses

Plusieurs étudiants du MBA de McGill sont toutefois favorables à ces changements. «Ils croient qu’ils vont recevoir une meilleure formation, explique le président de l’AÉÉDTC. Ils pensent à long terme pour la viabilité du programme.» Selon Emmanuel Vincent, président de l’Association des étudiants des MBA pour cadres de l’UQAM (AMBAC), un programme aussi dispendieux ne peut que devenir élitiste. «Ils ne vont pas sélectionner les gens pour leurs compétences, mais pour leurs moyens financiers, déplore-t-il. Ils vont ignorer des immigrants ambitieux et des gens d’entreprises modestes. Ils sont en train de mettre un filtre qui va nuire à l’économie québécoise.» Le diplômé de l’UQAM estime que l’augmentation des frais de scolarité du programme MBA de McGill risque de créer deux catégories d’universités. «Ça va forcément devenir un système à deux vitesses, évalue-t-il. Les gens qui vont pouvoir se payer le MBA de McGill vont y aller. Les critères de sélection vont être financiers.»

En offrant un MBA au coût de 5 000$, l’UQAM risque-t-elle de devenir une école de seconde classe? «Je suis fier que ça ne devienne pas le MBA des pauvres, mais un MBA populaire, répond Emmanuel Vincent. À l’UQAM, on côtoie des gens qui ont un grand bagage de vie et qui peuvent nous apporter beaucoup.» 
Le MBA de l’UQAM fait en effet bonne figure malgré la mauvaise réputation que l’Université du peuple traîne comme un boulet. Classée 9e en 2006 pour la qualité de son MBA pour cadres dans le classement annuel du Corporate Knight, un magazine d’affaire canadien, l’UQAM supplante HEC et McGill, respectivement 11e et 12e. Malgré ces bons résultats, convaincre les gens de la qualité du programme demeure ardu. «Je peux difficilement mettre dans la tête des gens qu’un programme de 5 000$ est aussi bon qu’un autre de 200 000$, reconnaît Robert Desmarteaux, directeur des MBA de l’UQAM. C’est impossible de s’attaquer à ça.» 

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