Noir silence

Des étudiants étrangers travaillent au noir

Pressés d’obtenir l’indépendance financière, des étudiants étrangers universitaires se lancent sur le marché du travail sans permis légal. Une pratique risquée qui mène à l’expulsion du pays s’ils se font coincer par les autorités.

Lundi matin. Terminus Honoré-Beaugrand. Le soleil émerge à l’horizon. Le froid transperce quelques quidams qui attendent patiemment une camionnette blanche aux essieux rouillés. Direction: une manufacture aux conditions de travail dignes des années 30, où ils sont payés un maigre 7,50 dollars de l’heure. Ces hommes et femmes travaillent illégalement. Parmi eux, on retrouve aussi des étudiants de l’UQAM.

 «Je voulais de l’argent tout de suite, explique Dieudonné*, étudiant étranger dans la vingtaine à la Faculté de gestion de l’UQAM. Je ne voulais pas passer par toute la paperasse administrative pour obtenir mon permis de travail hors campus. Une amie m’a refilé le nom d’un type qui donnait du boulot. C’était du travail dans des manufactures, c’était vraiment tough. Il n’y avait que des immigrants qui travaillaient avec moi.»

On compte près de 2 300 étudiants étrangers à l’UQAM. Leurs frais de scolarité sont énormes: au moins
15 000$ par année, soit une facture sept fois plus élevée que celle de l’étudiant moyen, sans compter les coûts de subsistance de plusieurs milliers de dollars. Même si les étudiants étrangers bénéficient de l’appui financier de leurs parents, restés dans leur pays d’origine, plusieurs d’entre eux aimeraient atteindre une certaine indépendance financière. «Dès le début, je voulais que mes parents aient moins à payer, raconte Ahmed*, qui étudie à l’Université de Montréal. Je voulais qu’ils paient mes études et que je m’occupe des factures. J’ai donc commencé à travailler au noir comme plongeur à la fin de ma première session. J’ai eu jusqu’à trois boulots en même temps.»
L’attente pour l’obtention du permis de travail hors campus, qui permet de travailler 20 heures par semaine durant l’année scolaire et à temps plein pendant les vacances, peut être longue pour les étudiants internationaux. «Les étudiants sont admissibles à un permis de travail hors campus après six mois d’études à temps complet, indique Christiane Bélanger, du Service d’accueil des étudiants internationaux de l’UQAM. Un étudiant qui a entrepris ses études à la session d’automne est donc admissible le 1er mars au permis de travail hors campus. L’inscription se fait en ligne et la demande prend moins d’un mois pour être traitée. Les étudiants ont aussi la possibilité de travailler sur le campus dès leur première session.» Les étudiants étrangers estiment toutefois que les 2 500 emplois étudiants existants sur le campus sont plutôt difficile d’accès.

Selon Christiane Bélanger, ce délai de six mois donne le temps aux étudiants internationaux de s’intégrer à la réalité québécoise. «C’est plus exigeant d’étudier au Québec qu’en Tunisie. C’est compliqué de commencer ses études dans une nouvelle université et dans un milieu différent. De toute façon, chaque étudiant doit arriver ici avec assez d’argent pour vivre pendant un an.» Étudiant en finance à l’UQAM, Joël Anansi, n’est pas de cet avis. «Je me suis vraiment intégré au Québec lorsque j’ai commencé à travailler. J’avais beaucoup plus d’interactions avec les Québécois», assure le jeune homme originaire du Togo. Le jovial étudiant a pris son mal en patience et a attendu d’obtenir son permis de travail hors campus pour commencer à travailler. 

Il admet que le travail au noir est un secret de polichinelle dans le milieu des étudiants internationaux. «Il y a des étudiants qui travaillent dans des entreprises manufacturières. Un type leur trouve des contrats pour la semaine, ils travaillent et reçoivent leur paye chaque vendredi.» Dieudonné, qui a travaillé au noir pendant deux étés, assure qu’il n’est pas un cas d’exception. «Il y en a plein comme ça, rigole l’étudiant originaire des Antilles quand on lui pose la question. Va dans tous les terminus très tôt le matin, tous ceux qui sont habillés de façon décontractée sont des travailleurs illégaux.»
Des roses contre des fleurs 

Ahmed est arrivé au pays en janvier 2006. L’étudiant à la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal n’a pas pu travailler légalement l’été suivant puisqu’il n’avait pas fait six mois d’études à plein temps. Après quelques mois de travail clandestin, il travaille légalement dans un magasin d’électronique à l’été 2008. Des problèmes de renouvellement de papiers l’empêchent toutefois de poursuivre dans la voie de la légalité. «Le renouvellement de mon Certificat d’acceptation du Québec, qui me permet de rester au pays, m’a pris quatre mois, raconte-t-il. Ça a retardé de plusieurs mois l’obtention de mon permis d’études. En janvier 2009, je n’avais toujours pas de permis d’études et j’ai perdu toute ma session d’automne alors que j’avais réussi tous mes cours. J’étais désespéré.»

 Le jeune homme originaire du Maghreb a usé de moyens inusités pour se sortir du pétrin. «J’ai donné des cadeaux et des roses à la dame qui s’occupait de mon dossier et elle a réussi à récupérer deux de mes cours.»
Une épée de Damoclès

Le travail clandestin comporte beaucoup de risques pour ceux qui choisissent cette option. «Quand un étudiant étranger transgresse la loi à titre de travailleur illégal, il s’expose à être expulsé du pays, indique Jacqueline Roby, porte-parole de Citoyenneté et Immigration Canada. Il ne faut pas oublier que l’accès principal d’un étudiant étranger au pays, ce sont les études.» La peur est omniprésente pour ceux qui s’y adonnent depuis plusieurs années. «J’ai toujours un peu peur, confie Ahmed. Je travaille le soir et non le matin parce que j’ai moins de chance de me faire arrêter. Mais après quatre ans, je me dis que le gouvernement laisse faire de toute façon. Beaucoup de gens font pareil.» 

À Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), le travail clandestin est pris au sérieux. «Ce n’est pas moins grave parce que ce sont des étudiants qui travaillent au noir, rappelle Jacqueline Roby, porte-parole de CIC. La loi prévaut pour tout le monde.»
 
* noms fictifs 

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