Une équipe de recherche de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) lancent un projet pour étudier l’impact des changements climatiques sur la croissance de la forêt boréale et sur ses écosystèmes dans les années à venir.
Le Montréal Campus s’est entretenu avec le professeur au Département des sciences biologiques de l’UQAM, Yves Bergeron, qui contribue au projet Prédire la croissance de la forêt boréale afin de mieux comprendre l’utilité d’un tel projet. Il témoigne de l’importance capitale de la forêt boréale canadienne et des dangers qui la guettent.
Roxanne Lachapelle (RL) : Quelle est l’importance de la forêt boréale au Canada?
Yves Bergeron (YB) : Le Canada comporte une grande partie de la forêt boréale mondiale [environ 9% des forêts du monde se trouvent au Canada, selon Statistiques Canada]. Une des particularités de la forêt boréale est qu’il y a beaucoup de carbone qui est stocké dans ses sols, parce que c’est un milieu où la croissance est relativement lente et le taux de décomposition de la matière organique est faible. C’est une des grandes zones qui est encore naturelle et qui est un capteur de carbone important.
RL : Quels sont les principaux effets de la crise climatique sur la forêt boréale?
YB : L’effet le plus important [c’est] les feux de forêt. Le climat est actuellement plus humide, mais il va devenir plus sec. Pour faire une histoire [courte], quand la température augmente, le potentiel d’évaporation augmente aussi. Cela veut dire qu’en général, il y aura plus de précipitations au début (c’est ce qu’on connaît actuellement). Mais dans le futur, il est prédit qu’il ne tombera pas suffisamment d’eau pour compenser pour la température élevée. On sera donc dans un climat plus sec, ce qui aura un impact sur les incendies forestiers qui sont très [nocifs] dans la forêt boréale et sur les espèces qui sont sensibles à la sécheresse.
RL : À quoi peut ressembler l’avenir de la forêt boréale s’il n’y a pas de changements majeurs qui sont faits pour ralentir la crise climatique?
YB : La forêt boréale pourrait disparaître [pour devenir des forêts qui contiennent plus d’arbustes]. C’est-à-dire que les arbres pourraient disparaître dans une grande partie de la forêt boréale. Les forêts boréales qui sont présentement productives pourraient, en raison des incendies et des sécheresses, devenir des endroits qui ressemblent davantage à la forêt taïga, qui est une forêt ouverte où la densité des arbres est plus faible. Peut-être qu’un jour les espèces du sud, les feuillus, vont remplacer les conifères. Mais le problème est qu’il y aura une période de transition où il risque d’y avoir une instabilité où nous n’aurons pas de nouveaux arrivants. Il y aura des pertes pour la forêt.
RL : Quelle est l’utilité du projet que vous menez?
YB : C’est d’essayer de voir comment la croissance de la forêt boréale va être affectée par les changements climatiques. Ce qui est intéressant dans ce projet-là, c’est qu’on va essayer de développer un modèle – sans rentrer trop dans les détails techniques – écophysiologique calibré avec des données réelles de terrain qui ont été mesurées pendant plusieurs années. Nous avons eu accès à des données qui ont été récoltées par d’autres chercheurs du gouvernement et de l’UQAC. Ces données proviennent d’appareils qui mesurent la croissance des arbres et qui peuvent les mettre directement en relation avec les conditions climatiques.
Nous tentons d’avoir la capacité de calibrer un modèle écophysiologique qui va simuler la croissance des arbres, calculer la photosynthèse et le taux de respiration des arbres, et [qui nous permettra de] dire quelle espèce va être favorisée ou non en raison des changements climatiques, en les comparant.
RL : Que souhaitez-vous que le projet ait comme impact pour la forêt boréale?
YB: Nous espérons pouvoir [proposer] des manières efficaces de s’adapter aux changements climatiques. Par exemple, choisir des essences qui sont à même de se régénérer [plus facilement] dans le contexte de changements climatiques. On peut penser par exemple à l’épinette noire, qui est l’espèce dominante dans le nord. Elle est très peu adaptée aux conditions sèches et elle est sensible aux feux, tandis que le pin gris tolère beaucoup mieux ce genre de conditions. L’étude pourrait permettre de montrer que dans le climat futur, on est mieux de compter sur certaines espèces plutôt que d’autres.
Nous regardons également les forêts mixtes [qui constituent] un autre aspect intéressant de l’étude : serions-nous mieux d’avoir des forêts où il y a un mélange des espèces pour avoir une plus grande résilience, c’est-à-dire la capacité à pouvoir s’adapter à l’effet des changements climatiques?
Le projet de recherche durera trois ans et sera mené entre autres en Abitibi et au Lac-Saint-Jean.
Mention photo : Manon Touffet
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