Si la passion de collectionner débute souvent à la petite enfance, elle ne s’estompe que rarement et peut se transmuer en réelle pathologie.
Pour Claude, chaque dimanche soir, c’est la même ritournelle. Bivouaqué dans une petite pièce de son sous-sol de la Rive-Nord – une vraie caverne d’Ali Baba –, il est à l’affut de tout ce qui se dit et se fait dans le monde du sport. Le congé dominical n’est pas de tout repos pour ce collectionneur de 56 ans. En plus d’enregistrer les faits saillants sportifs à la télévision et de découper les articles qui traitent de sports dans les journaux, il réaménage perpétuellement sa collection et s’efforce de trouver de la place à ses nouveaux objets, pour le moment confinés dans son garage. Ce fanatique de sport investit des sommes considérables d’argent et de temps pour gérer ses collections.
Bien plus qu’un simple passe-temps, les collectionneurs vouent une réelle dilection pour leurs objets. «Si je ne peux pas avoir ce que je veux, je suis pire qu’un enfant», badine Claude. Qu’elle soit une accumulation aliénée ou une poursuite de tradition familiale, la propension à collectionner suscite des sentiments analogues chez les collectionneurs: l’enivrement ressenti lors de l’achat de la perle rare et le même atterrement advenant l’impossibilité de s’en porter acquéreur. Pour Claude, à l’emploi de la brasserie Molson, l’achat voué à ses collections est synonyme de bonheur. «Je suis matérialiste, j’aime les belles choses et en acheter, ça me rend heureux», avoue-t-il sans gêne.
Il est étonnant de voir ce que certains collectionneurs font par amour de leur collection. Selon un essai sur les collectionneurs de l’ethnologue français Claude Frère-Michelat, la majorité des collectionneurs dépense entre 5% et 20% de leur budget dans leurs trésors et investi entre 10% et 100% de leur temps de loisir. «Disons que je mets deux heures par jour à gérer ma collection et une vingtaine d’heures par semaine», révèle Claude, assis dans ce qui s’avère être son poste de commandement. Le féru d’objets est conscient de l’investissement que sa collection requiert. Il avoue néanmoins avoir de la difficulté à chiffrer la valeur totale de ses collections. «Il y a en a pour des milliers de dollars ici», évalue Claude à la volée.
Se frayant un chemin à travers l’amas d’objets muséologiques, il arrête devant les statuettes des joueurs des Expos. «Lors de leur dernière année à Montréal, j’allais les voir au Stade Olympique et j’achetais des dizaines de billets pour pouvoir avoir les différentes bobbleheads qu’ils donnaient gratuitement», se remémore l’amateur de sports.
Si certains peuvent croire que collectionner est un trouble obsessionnel compulsif, il n’en est rien pour le psychiatre au Centre d’étude de la famille à Paris, Robert Neuburger. «Nous sommes tous compulsifs. C’est pourquoi le “collectionnisme” n’est ni un comportement pathologique ni une maladie. On peut même dire que c’est un traitement en soi», précisait-il en entrevue avec Psychologies magazine il y a quelques années.
L’anthropologue Serge Bouchard croit pour sa part que le «collectionnisme» peut être une pathologie. Il soutient que le comportement de collectionneur devient maladif s’il s’agit de la seule activité d’une personne. «Collectionner, c’est le refuge des misanthropes, de ceux qui sont blessés et qui sont plus à l’aise avec des objets qu’avec des humains», maintient l’animateur de l’émission De remarquables oubliés sur la première chaîne de Radio-Canada. Claude considère ses collections comme une passion et non comme une maladie. «J’aime les objets, c’est tout, plaide l’amateur de sports. Les objets, ça ne t’écœure pas.»
Un jeu d’enfant
L’obsession peut débuter dès l’âge de quatre ans. Assis dans les escaliers où il contemple ses joyaux, Claude revient sur les moments difficiles de sa jeunesse. «Je n’avais rien quand j’étais petit. Je n’avais pas beaucoup d’amis et j’étais souvent tout seul, dit l’homme de 56 ans sur le ton de la confidence. J’ai décidé d’avoir mes trucs à moi.»
Sur un des murs de son sous-sol, une affiche du regretté animateur de l’émission Hors jeu au Réseau des sports, Paul Buisson, joue le rôle de gardien de la collection. «Il aimait le sport, alors je l’ai mis dans le coin comme s’il regardait tout ça, explique Claude, visiblement ému.
Feuilletant les recueils dans lesquels sont raboutés les pointages de tous les matchs des Canadiens depuis 1970, Claude croit posséder tout l’or du monde dans sa maison. «Je suis protecteur de deux choses dans ma vie: ma famille et mes collections. Les gens de ma famille sont tannés, ils me disent d’arrêter. C’est certain qu’à un moment donné, il va falloir que je cesse d’acheter».
Le sous-sol de Claude est plein à craquer. Quant aux objets disséminés dans son garage, le collectionneur entend leur trouver une place au sein de son pactole. Ses objets sont intrinsèques à sa vie. Après quelques moments d’hésitation, il s’épanche. «S’il y avait un feu chez moi, je crois que je serais dedans.»
Crédit photos: Étienne Dupuis
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