Festin quincailler

Si l’idée d’ingérer des objets paraît absurde à première vue, cette envie insolite est un combat de tous les instants pour certains. Ce comportement peut devenir funeste chez ceux qui croquent à belles dents ce qui leur tombe sous la main.

La cloche retentit. Dans le brouhaha des élèves qui se précipitent vers la cour d’école, l’estomac de l’enseignante, Naïma, crie famine. Après s’être assurée que les derniers retardataires aient franchi le seuil de la porte, la Française de 36 ans, enceinte, fouille dans le tiroir de son bureau à la recherche de la parfaite collation. Les futures mères ont souvent des goûts bien farfelus durant leur grossesse. Plutôt déconcertant tout de même de voir l’enseignante ressortir de son tiroir, non pas une pomme, mais… une craie.

«Vers mon troisième mois de grossesse, j’ai commencé à avoir envie de choses terreuses sans bien définir ce dont j’avais envie, confesse Naïma, d’origine algérienne. Un jour, j’ai goûté un morceau de craie et j’ai adopté!» Naïma, qui reluquait également le plâtre et la terre des patates, consommait jusqu’à trois craies par jour. «C’est assez étrange, mais c’était une envie très présente et difficile à définir, détaille-t-elle. Je désirais quelque chose de poudreux et ferme». Son désir d’engouffrer des craies est devenu, de son propre aveu, une véritable obsession.

Le syndrome de PICA est un trouble alimentaire caractérisé par une envie soudaine d’ingérer des substances non comestibles sur une période de plus d’un mois. «J’ai expliqué ma situation à mon médecin, il a cru à une plaisanterie», raconte Naïma, pantoise. Selon son médecin, aucune raison de sonner l’alarme: la craie est un remarquable pansement gastrique pour les femmes enceintes. «J’ai donc continué à manger des craies sans me poser de questions», lâche la femme de 36 ans.

Psychologue au Service québécois d’expertise en troubles graves du comportement (SQETG), André Lapointe en a vu de toutes les couleurs. C’est tout juste s’il n’a pas aperçu quelqu’un engloutir un mur. «J’ai vu des gens manger des bouts de cigarettes qu’ils trouvaient par terre, des batteries, des vis, des clous et des gants en latex», énumère le thérapeute, manifestement difficile à impressionner.

Si le syndrome de PICA fait couler beaucoup d’encre sur la Toile, les recherches sur le sujet sont rarissimes. «En Grande-Bretagne, des chercheurs ont suivi plusieurs patients atteints de PICA et au bout de dix ans, environ 15% des cobayes étaient morts. Certains patients avaient même été opérés jusqu’à sept fois pour se faire retirer des corps étrangers», relate le psychologue.

Dépourvus
Malgré le manque d’études sur le sujet, un coup d’œil rapide sur les blogues témoigne d’un problème non négligeable. Pourtant, les experts en la matière ne sont pas légion. Difficile donc pour une personne atteinte du trouble alimentaire PICA d’obtenir un diagnostic clair. Selon le psychologue au SQETG, si les causes du syndrome diffèrent d’une personne à l’autre, la thèse du déséquilibre alimentaire semble coller à la situation de Naïma. Une carence nutritionnelle aurait ainsi pu l’inciter à ingérer tout ce qui se trouve devant elle, dans l’espoir d’acquérir les nutriments manquants.

«Le PICA peut être déclenché après une période de stress très intense. Or, la grossesse d’une femme en est une et pourrait expliquer le trouble», analyse André Lapointe. Bien que ce syndrome se retrouve chez les femmes enceintes, la plupart des personnes atteintes ont une déficience intellectuelle importante. «Ceux qui souffrent de PICA et n’ont pas de retard mental sont rares et il est assez simple, chez eux, d’alléger les symptômes», précise le psychologue. Difficile, cependant, d’obtenir un diagnostic clair quand aucun spécialiste n’est en mesure de le poser.

Pour Naïma, délaisser la craie a été un processus des plus laborieux. «J’ai continué à manger de la craie pendant encore trois ans, par pure habitude, se remémore l’enseignante. Un petit centimètre de craie pouvait me calmer pendant des heures.» Après sa grossesse, le retour à la routine l’aura finalement sauvée de sa dépendance. «J’avais mon paquet de craies au fond de mon sac et j’en grignotais discrètement un morceau quand j’en avais envie, ce n’est pas comme manger un mur ou une table, raconte la Française. Puis, j’oubliais d’acheter des craies, je me suis donc rendu compte que je n’en avais plus vraiment envie et j’ai arrêté du jour au lendemain d’en manger». Pour d’autres moins chanceux, le PICA peut s’avérer fatal. Comme quoi l’expression «crever de faim» peut parfois prendre tout son sens.

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