Tropiques du cancer

Hiver comme été, les «accros» au bronzage n’ont rien à envier aux douchebags de la téléréalité Jersey Shore. Certains «tanorexiques» vont même jusqu’à multiplier les abonnements à différents salons de bronzage, au grand dam des médecins. 

«Mon premier emploi me servait à payer mon abonnement au salon de bronzage». À l’âge de 15 ans, Geneviève Phénix, maintenant diplômée de l’UQAM, se laisse tenter par les cabines. Pendant des années, elle ne peut se passer de son teint basané, au point où elle s’enferme au salon jusqu’à quatre fois par semaine. «J’en ressortais rouge comme un homard, se remémore-t-elle avec amertume. Je me trouvais plus belle bronzée. Je pensais que j’avais l’air en santé.» À 24 ans, le verdict tombe: un mélanome s’est développé sur sa clavicule. «Je ne savais même pas ce que c’était, admet-elle. Quand le médecin m’a expliqué qu’il s’agissait du cancer dont était mort Robert Bourassa, je me suis mise à pleurer.»

Comme les anorexiques qui ne supportent pas la prise de poids, certaines personnes au teint hâlé sont effrayées de voir leur peau blanchir. Cette dépendance au bronzage, les médias la surnomment «tanorexie», mélange de tan – le mot anglais pour bronzage – et d’anorexie. Des chercheuses du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, dans l’État de New York, ont démontré en 2010 que les rayons UV des salons de bronzage peuvent créer une réelle dépendance, comme l’alcool ou la drogue. Toutefois, la «tanorexie» n’est toujours pas reconnue par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Malgré la biopsie nécessaire pour éliminer le mélanome, Geneviève Phénix n’a pu s’empêcher de retourner sur le lit de bronzage à deux reprises. Elle s’est ensuite aperçue que l’un de ses grains de beauté, près du cœur cette fois, avait changé de forme et de couleur. «Je savais que c’était revenu. J’ai honte d’avouer que je suis retournée au salon. C’était de l’insouciance de ma part.» Cette fois-ci, pas de retour en arrière. «Les dommages causés par les rayons UV sont énormes. Sous mon épiderme, j’ai une peau de personne âgée.»

 

Santé, les rayons UV?

Du côté de l’industrie, des bienfaits médicaux sont invoqués pour justifier les visites aux salons de bronzage d’Alain Fournier. «J’ai des clients qui souffrent d’eczéma ou de psoriasis. La chaleur leur fait du bien», se défend le porte-parole de l’Association des salons de bronzage du Québec. Selon lui, la population québécoise est carencée en vitamine D et gagnerait à se faire bronzer. «Les gens manquent de soleil. Ils ont le blues de l’hiver. Moi, je me fais bronzer pour tous les bienfaits que ça m’apporte, physiquement et psychologiquement.»

Étudiante à l’Université du Québec à Trois-Rivières, Jade Goulet se fait bronzer en cabine deux à quatre fois par mois, mais affirme ne pas être dépendante, puisqu’elle n’y va «pas souvent». La demoiselle au teint très basané invoque la détente, entre autres. «J’aime me faire bronzer pour plusieurs raisons, mais particulièrement pour relaxer, explique-t-elle. C’est aussi important pour moi d’avoir un beau teint pour me protéger du soleil, avoir une peau moins sensible.»

Ces affirmations font frissonner André Beaulieu, directeur par intérim des Affaires publiques de la Société canadienne du cancer. «Les rayons UV des lits de bronzage sont de 5 à 15 fois plus puissants que le soleil du midi, avertit-il. Ils sont cancérigènes, au même titre que la cigarette ou l’amiante.» Pour ce qui est de la vitamine D, il est catégorique: les bienfaits vantés par l’industrie du bronzage sont mensongers. «Tout est faux. On n’a qu’à passer une dizaine de minutes dehors en attendant l’autobus pour recevoir notre apport quotidien».

Alain Fournier tente quant à lui de se faire rassurant. «L’intervalle minimum entre deux séances est de 48 heures. Je dois parfois refuser des clients qui essaient de venir plus souvent, mais je ne peux les empêcher de s’abonner à deux salons à la fois et d’y aller tous les jours.» Selon Jade Goulet, certains clients des grills géants demeurent éternellement insatisfaits des résultats du bronzage. «Ces personnes y retournent parce qu’elles ne se trouvent jamais assez bronzées, mais je ne crois pas qu’il s’agisse de dépendance», nuance-t-elle.

Depuis ses deux mélanomes, Geneviève Phénix, 31 ans, ne peut plus être au soleil sans se protéger. Elle s’est même fait enlever des grains de beauté, par prévention. «Les jeunes doivent savoir à quel point c’est dangereux. Le bronzage est éphémère. Ses effets, eux, sont irréversibles.»

Depuis 1990, les cas de mélanome ont doublé au Canada. Selon un sondage Léger-Marketing, 70% des utilisateurs des lits de bronzage seraient des femmes, majoritairement âgées de 16 à 29 ans. La Société canadienne de cancer affirme que l’exposition au bronzage artificiel augmente de 75% les risques de développer un mélanome pour cette catégorie d’âge. André Beaulieu tente d’influencer le gouvernement pour qu’il interdise l’accès des salons de bronzage aux mineurs, à l’instar de la Nouvelle-Écosse et de la ville de Victoria, en Colombie-Britannique.

Ceux qui tentent d’imiter les célébrités d’Hollywood, bronzées 365 jours par année, pourraient le payer cher. «On habite au Québec. On n’est pas faits pour être bruns», lance une Geneviève Phénix au teint pâle, mais sans mélanome.

 

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Souriez pour le photomaton!

La Société canadienne du cancer était de passage dans l’agora de l’UQAM le mois dernier pour sa campagne La face cachée des salons de bronzage. Des uqamiens ont alors pu profiter de l’expérience du photomaton UV, machine utilisée par les dermatologues pour voir les dommages causés par le manque de protection au soleil. «En voyant le dessous de leur épiderme, des filles se sont mises à pleurer et à demander pourquoi personne ne les avait prévenues des dommages causés par le soleil», raconte la porte-parole Geneviève Phénix, avec émotion.

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