Professeurs universitaires controversés
Des professeurs auraient été renvoyés pour leurs méthodes d’enseignement controversées ou pour leurs convictions politiques. Vous n’êtes pas en Iran ou en Chine, mais bien à Montréal. Y aurait-il une limite à la liberté de pensée dans les universités de la métropole?
Un professeur marxiste, un qui ne donne pas d’examens et un autre qui critique vertement la réforme scolaire. Tous estiment avoir été mis de côté pour des raisons idéologiques, contrairement à la version officielle des universités. Laissés à eux-mêmes, ces électrons libres montent aux barricardes pour défendre leur liberté d’expression.
L’ancien professeur en sciences des religions à l’Université McGill Norman Cornett était réputé pour sortir du carcan traditionnel des cours magistraux et des examens: discussion entre des membres des communautés juives et palestiniennes, visites d’expositions, rencontres avec des artistes et politiciens tels Oliver Jones, Paul Martin et Jacques Parizeau. Toutefois, il a été remercié sans explications en 2007 par l’administration de l’établissement, après 15 ans de service. «Je voulais créer un espace pédagogique où l’on pourrait apprendre par tous les sens et pas seulement vomir de l’information apprise par cœur», affirme-t-il. Depuis plus de trois ans, McGill refuse de justifier ce renvoi au professeur comme aux médias.
L’Université n’a d’ailleurs pas retourné les appels de Montréal Campus. Le documentaire Le professeur Norman Cornett, réalisé en 2009 par la cinéaste d’origine autochtone Alanis Obomsawin, en partenariat avec l’ONF, fait découvrir l’approche pédagogique non conventionnelle de ce libre-penseur.
Ses cours connaissaient une grande popularité auprès des étudiants. Ils ont d’ailleurs été plus de 700 à signer une pétition réclamant son retour. Son ancien étudiant, Philippe Bourque, ne comprend pas la décision de McGill. «Son enseignement était très participatif. Il a beaucoup nourri mon côté artistique, confie le jeune homme, qui n’a pas hésté à signer la pétition. Si je vais au musée aujourd’hui, c’est grâce à lui.»
«Discrimination politique»
Mark-David Mandel enseignait la politique à l’Université McGill avant d’être remercié, en 1980. Encore aujourd’hui, il clame avoir été victime de «discrimination politique» à cause de ses activités syndicales, de ses idées marxistes et de son opposition à la politique d’Israël. À la suite de son renvoi, le professeur, aujourd’hui à l’UQAM, a écrit The Academic Corporation, en collaboration avec l’économiste Allen Fenichel, en 1987. Il y explique qu’alors professeur temporaire, il s’était porté candidat à un poste ouvert de professeur permanent. Même si le Comité de sélection l’a recommandé au Département des sciences politiques, ce dernier l’a ensuite rejeté. Malgré une troisième recommandation du Comité de sélection et un appui favorable de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, le politologue a été remercié. D’après lui, l’Université aurait justifié ce refus par le fait qu’il y avait d’autres candidats qualifiés. «Je n’ai jamais souffert à l’UQAM, confie Mark-David Mandel. Quand je suis arrivé ici, tout le monde était marxiste. McGill est très conservatrice, mais l’UQAM est beaucoup plus ouverte.»
Une des grandes différences entre l’Université du peuple et McGill est d’ailleurs le Syndicat des professeurs de l’UQAM (SPUQ). En 24 ans de carrière, le conseiller du SPUQ, André Breton, n’a jamais eu connaissance d’un renvoi de professeur pour des causes idéologiques. «Selon la convention collective, l’Université ne peut congédier un professeur permanent. Si elle le fait, dans 99% des cas, le renvoi est contesté et le syndicat soutient», explique-t-il. Selon lui, la sécurité d’emploi sert à protéger le droit d’enseigner librement. «Cela procure une autonomie très large aux professeurs qui va jusqu’à leur idéologie», ajoute-t-il. Syndicat ou pas, l’article 124 de la Loi sur les normes du travail stipule qu’après deux ans de service continu pour une entreprise, un employeur doit avoir une raison juste et suffisante pour remercier un employé. Le professeur Norman Cornett s’est tourné vers le système judiciaire car, selon lui, McGill n’a pas respecté cette règle de licenciement.
UQAM, la gentille?
Si l’UQAM est réputée pour être plus «ouverte» aux idées et aux méthodes d’enseignement de son corps professoral, reste que l’enseignant au département d’éducation Normand Baillargeon est au cœur d’une controverse. Le professeur, auteur de nombreux ouvrages philosophiques, s’oppose à la Réforme éducative. Selon André Breton, du SPUQ, Normand Baillargeon a demandé l’année passée le statut de professeur titulaire, lui qui enseigne depuis plus de 20 ans. Le Comité institutionnel de promotion de l’Université ne se prononcera qu’en mars prochain. Cependant, cette requête n’a pas été approuvée par le Département. «C’est embêtant de dire que cette décision du Département est en lien avec l’idéologie de Normand Baillargeon, soutient André Breton. Il est encore trop tôt pour se prononcer.» Joint par courriel, Normand Baillargeon, présentement en année sabbatique, n’a pas voulu commenter l’affaire, tout comme la doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM, Monique Brodeur. En avril dernier, il a toutefois affirmé à La Presse qu’il a «été tassé» par l’UQAM. Deux mois plus tôt, il confiait au Voir qu’«il était interdit, sous peine de sanctions symboliques assez fortes, d’exprimer des réserves ou de formuler des critiques à l’endroit du système qui se mettait en place».
Comme dans le cas de l’ancien professeur de l’Université McGill, Norman Cornett, Normand Baillargeon a reçu le soutien de ses étudiants. Ils sont plus de 300 à avoir signé une pétition. Ils déplorent le fait que leur professeur n’enseigne plus depuis septembre le cours intitulé Fondements de l’éducation préscolaire, primaire et secondaire. «Nous croyons que les raisons pour lesquelles M. Normand Baillargeon n’enseigne plus à la faculté d’éducation sont liées à la formule pédagogique de ses cours et à des raisons d’engagement idéologique vis-à-vis du Renouveau pédagogique», est-il écrit dans la pétition.
Malgré ces trois cas litigieux, André Breton, du SPUQ, estime qu’avec la protection des professeurs permanents, les professeurs renvoyés à l’UQAM se font rares. Du moins, «l’Université ne dira jamais que c’est à cause de leurs idées».
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