Bullying universitaire

Professeurs victimes de harcèlement

Courriels haineux, menaces anonymes, comportements violents, exclusion, obstacles à l’avancement. De nombreux professeurs sont en proie au harcèlement psychologique de la part d’étudiants et de collègues. Longtemps demeurée tabou, la situation touche plus d’un professeur sur dix.

En 1993, Christiane Lahaie, alors chargée de cours en création littéraire à l’Université Laval, a été victime de harcèlement psychologique. Pendant des semaines, elle s’est rendue en classe avec la crainte d’affronter les sautes d’humeur d’un étudiant impatient et méprisant. Chaque travail qu’il lui remettait recelait des menaces à mots couverts où il l’accusait de le haïr et de vouloir se débarrasser de lui. Après avoir fait appel à la direction de son département et à l’avocate de l’Université sans succès, Christiane Lahaie a réussi à obtenir la présence d’un gardien de sécurité dans son cours. Après quelques semaines, cette protection lui a toutefois été retirée puisque l’individu menaçant ne semblait pas prêt à l’attaquer.

 

L’étudiant a tout de même continué à terrifier ses camarades avec des histoires remplies de meurtres sordides. Exacerbée, l’enseignante l’a jeté en dehors du cours, mais a accepté de corriger ses travaux. Son dernier texte littéraire la met en scène avec lui: il la viole et elle le tue. La session s’est terminée sans qu’elle ne le revoit, mais la marque était indélébile. Elle a fait un burnout.

 

Illustration: Philippe Mc Duff

Chhhhut…
Des histoires comme celle de Christiane Lahaie, la spécialiste du harcèlement psychologique et professeure à l’UQAM, Chantal Aurousseau, en a entendues à maintes reprises. Cependant, les personnes qui lui racontent leur expérience contactent rarement les autorités. «Elles doutent que leur plainte soit justifiée. Bien souvent, les professeurs victimes de harcèlement se pensent faibles et incapables de faire ce travail.» Leur entourage peut également les ridiculiser. Dans le cas de Christiane Lahaie, ses collègues masculins discréditaient ses craintes et prétendaient que le problème, c’était elle.

En 2002, la Loi sur les normes du travail a été modifiée pour y introduire des dispositions contre le harcèlement. L’année suivante, une enquête menée à l’Université de Montréal révélait que 12% des professeurs d’université s’en disaient victimes. Les modifications de la loi sont entrées en vigueur en juin 2004. Depuis, toutes les institutions gouvernementales, dont les universités, sont tenues de prendre des mesures contre ce type de comportement. L’UQAM s’est donc dotée d’une politique contre le harcèlement psychologique, à l’élaboration de laquelle Chantal Aurousseau a participé.

Depuis l’adoption de la nouvelle politique, le service de sécurité de l’UQAM traite plus d’une dizaine de plaintes pour harcèlement par semaine, affirme l’enquêteuse du service de sécurité, Lucie Latendresse. Même si bien des cas se révèlent souvent être de l’intimidation et ne sont pas répétés suffisamment pour être considérés comme du harcèlement, chaque situation est prise très au sérieux. «Dès qu’on reçoit une plainte de ce genre, on enquête. S’il s’agit de harcèlement psychologique ou sexuel, on recommande la victime à Muriel Binette [la responsable du bureau de harcèlement, qui agit comme conseillère indépendante en résolution de conflits à l’UQAM]. Si des menaces sont proférées par le harceleur, on va directement au criminel.»

La loi de la jungle
Le harceleur n’est toutefois pas toujours un étudiant, prévient Lucie Latendresse. Il peut aussi s’agir d’un collègue, même si le bureau de la sécurité reçoit bien peu de plaintes à ce sujet. «Les professeurs ont encore la mentalité de garder ça à l’intérieur du département», croit l’enquêteuse. Pourtant, cette forme de harcèlement serait la plus courante dans le domaine universitaire, selon le rapport Le harcèlement psychologique chez les professeures et professeurs d’université, paru en 2006.

Les universités sont un terreau fertile pour l’éclosion de conflits, croit Chantal Leclerc, coauteure du rapport et spécialiste du harcèlement psychologique. «Elles sont sous-financées et les coupures budgétaires amènent une surcharge des professeurs. Quand il faut partager les ressources, les dents s’allongent. Certains sont prêts à tous les coups bas.» Un professeur peut être la cible de ses collègues qui lui refusent systématiquement toute possibilité d’avancement, qui médisent à son sujet ou qui liguent ses étudiants contre lui. Certains vont jusqu’à perpétrer des agressions physiques. «Cela devient du harcèlement quand ça revient de manière répétitive à différents moments stratégiques de la carrière du professeur, explique Chantal Leclerc. Ça ne revient pas nécessairement tous les jours, mais à des moments clés.»

Briser la confiance
Le harcèlement détruit quotidiennement bien des carrières, affirme Chantal Leclerc. Il peut pousser à la démission et même au suicide. «Au départ, la victime refuse d’y croire. Puis vient la désillusion. Sa personnalité change. Une personne coopérative et aimable devient méfiante et irritable. Finalement vient le retrait. Le professeur travaille à la maison, saute quelques réunions, limite le plus possible les contacts avec les autres professeurs.» Christiane Lahaie s’en souvient très bien. «J’étais très nerveuse. Je faisais des chutes de pression. Je ne comprenais pas pourquoi je n’étais pas prise au sérieux. Je me sentais toute seule, sans pouvoir me défendre.»

Les professeurs peuvent toutefois s’en sortir, croit Chantal Aurousseau. «Ça prend du temps pour se reconstruire, mais il faut s’accrocher au travail.» En identifiant le problème et en allant chercher du soutien auprès des instances universitaires responsables du harcèlement, un règlement peut être conclu avec le harceleur. À condition qu’il n’ait pas enlevé toute la confiance que la victime pouvait avoir.

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