Militer sans s’effondrer

L’implication militante de certains et certaines membres de la communauté étudiante est souvent synonyme d’épuisement. Le sentiment d’impuissance et les minces avancées à la suite des mobilisations représentent des catalyseurs de frustration, de découragement et d’anxiété. Autrefois mis de côté, le discours sur l’importance de prendre soin de soi prend une place grandissante dans les mouvements militants.

« Tu vas voir, c’est certain que tu vas faire un “burnout” ! » sont des paroles que l’ex-attachée de presse du mouvement La planète s’invite à l’Université, Dalie Lauzon-Vallières, a fréquemment entendues dans les sphères militantes. Elle a commencé son implication militante en février 2019, alors que la cause environnementale étudiante battait son plein.

Après de multiples mobilisations, les résultats n’étaient pas à la hauteur de ce que les militants et les militantes auraient espéré. « Dans le mouvement, il y en a qui ont voulu continuer la lutte, d’autres qui voulaient reconstruire notre action collective afin qu’elle soit mieux structurée. C’est à ce moment-là que tout s’est un peu fissuré », se remémore-t-elle. 

Selon Dalie Lauzon-Vallières, les difficultés démocratiques à l’interne, tout comme la dissonance entre l’ampleur du mouvement et ses modestes aboutissements, expliqueraient l’épuisement militant que beaucoup d’entre eux et elles ont ressenti en 2019. 

Durant cette période, des entrevues fréquentes et confrontantes avec divers médias ont contribué à son désenchantement. « J’avais peu d’espoir. Je sentais que des grosses machines de pouvoir comme les médias ne nous aimaient pas  », dit-elle. 

Sauver le monde avant soi-même

Le phénomène du syndrome d’épuisement professionnel militant n’est pas réservé aux mouvements écologiques. Pour Albert Lalonde, membre et ancien(ne) co-porte-parole de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES), l’urgence d’agir pour le bien-être collectif pousse certains individus à étirer leurs limites. « C’est important de ne pas hiérarchiser les causes militantes, on est tous et toutes exposés à l’urgence. Peu importe l’enjeu, on se bat pour les besoins d’une collectivité », énonce Albert.  

Par exemple, le collectif français Féministes contre le cyberharcèlement a lancé le mot-clic #Payetonburnoutmilitant en 2019, en réaction à la fermeture d’une page visant à recueillir des témoignages de femmes victimes de harcèlement de rue. Sur le site éponyme du mouvement, on pouvait lire qu’Anaïs Bourdet, fondatrice de la page « Paye ton shnek » lancée en 2012, annonçait qu’elle ne mettrait plus la page à jour. Elle s’est dit « émotionnellement épuisée par les violences subies au quotidien et par la lecture des témoignages de femmes victimes de harcèlement dans la rue. »  

Troquer la productivité pour la bienveillance

Plusieurs militants et militantes dénoncent les dynamiques de pouvoir malsaines et la glorification du sacrifice au sein même des cercles militants. Pour l’activiste et fondatrice du collectif Éco-motion, Isabelle Béliveau, la solution est de s’impliquer avec modération. « J’ai réalisé que plus on perd de militants et militantes par l’épuisement, plus on contribue à l’avancée du système capitaliste qu’on cherche à contrer », dénonce-t-elle. 

À la suite de plusieurs épisodes personnels de syndrome d’épuisement professionnel lié à son militantisme environnemental, Isabelle Béliveau, aussi formée en psychologie, a décidé d’adapter son militantisme à sa réalité en fondant Éco-motion. Les ateliers qu’offre le collectif se basent sur trois piliers : apaiser son système nerveux face aux crises sociales et aux changements climatiques, maintenir un filet social dans sa communauté et harmoniser les différents niveaux d’action militante.

Militer autrement 

Albert Lalonde décrit que la fatigue militante n’est pas une fatalité inévitable à l’engagement social. Iel rapporte qu’il est important de porter attention à nos limites personnelles. « C’est essentiel d’entretenir un réseau de soutien, de s’entourer de gens expérimentés qui nous rappellent nos besoins. Prendre soin les uns des autres, c’est une dimension intrinsèque du travail militant », conclut Albert.

Mention photo : Camille Dehaene|Montréal Campus

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