Définancer la police pour réinvestir dans le filet social

Les appels à « définancer » la police au profit des services sociaux et de santé ont résonné par milliers dans les rues de la métropole au printemps dernier. Jusqu’à maintenant, les institutions de la province n’ont pas répondu aux revendications des militantes et militants qui attendent toujours des réformes structurelles.

Les thèmes du racisme systémique et de la brutalité policière se sont imposés dans le débat public depuis la mort de George Floyd sous le genou d’un policier américain blanc en mai dernier. Le slogan Defund The Police, apparu lors des manifestations du mouvement Black Lives Matter, a résonné au sein d’une partie de la population montréalaise, prête à combattre le racisme des institutions.

« On avait rarement vu ça […] un discours si radical dans une manifestation de 30 000 à 40 000 personnes », confie Antoine*, étudiant de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui milite pour la cause. Il fait référence à la manifestation qui a eu lieu le 31 mai dernier dans les rues de Montréal.  Le slogan Defund The Police, qui adresse et dénonce un surfinancement des corps policiers, y a été entendu. Cette vision n’est cependant pas partagée par le premier ministre François Legault, qui nie toujours l’existence du racisme systémique. 

Réforme nécessaire ou « irresponsable » ? 

Du côté de l’hôtel de ville de Montréal, on a plutôt augmenté de 15 millions de dollars le budget du Service de Police de la ville de Montréal (SPVM) pour l’année 2021. « En pleine pandémie, de faire un bris de service au SPVM, pour moi, ce ne serait pas responsable, ce ne serait pas la bonne chose à faire », a déclaré la mairesse de Montréal lors de la présentation du budget 2021 de la Ville, le 12 novembre dernier.

Pour Jessica Quijano, membre de la coalition et porte-parole du Foyer des femmes autochtones, la police ne peut pas apporter réponse à tout : « C’est important d’avoir des équipes alternatives à la police qui [travailleraient] par et pour les communautés. Le monde appelle la police parce qu’ils n’ont aucune alternative », a-t-elle déclaré lors du dévoilement d’un budget alternatif pour la Ville de Montréal, présenté par la Coalition pour le définancement de la police qui regroupe des dizaines d’organismes communautaires.

Mme Quijano explique que le désarmement et la démilitarisation est une « question de vie ou de mort ». En effet, les bavures mortelles ont toujours lieu et la méfiance réputée de la communauté noire (parmi tant d’autres) à l’égard du corps policier vient en partie du harcèlement dont elle est victime au quotidien, mais surtout de la peur de subir le même sort que Nicholas Gibbs, un jeune homme mort sous les balles du SPVM le 21 août 2018. 

Pour la militante et autrice Robyn Maynard, présente au rassemblement à la mémoire de Nicholas Gibbs, la police n’est pas la bonne solution. « L’intervention policière mène généralement à une escalade de la violence, et pas l’inverse », déplore-t-elle. 

Cette démilitarisation du SPVM, où l’entièreté des patrouilleurs et patrouilleuses sont armés, serait envisageable et des exemples en témoignent. Au Royaume-Uni par exemple, 95% des policiers et des policières ne portent pas d’arme à feu. Lors d’incident graves, on contacte les 5% restants, formé(e)s spécialement pour agir dans ce genre de situation. 

Le corps policier réticent 

Mélanie*, policière dans un des secteurs les plus criminalisés du Québec, est sceptique quant à ces revendications. « Je ne comprends pas ce mouvement. […] On ne peut pas couper dans la gestion de crise », a-t-elle confié au Montréal Campus. Elle comprend la méfiance qu’une certaine partie de la population nourrit envers son institution, mais juge son travail nécessaire et assume de parfois devoir endosser le mauvais rôle. « Il faut que tu aies un méchant et un gentil […] Le travailleur de rue par exemple, ne peut pas faire le travail de la police car il perd son rapport de confiance [avec les bénéficiaires]. » 

Ariane Campeau, étudiante en technique policière au collège Ahuntsic, accepte, elle aussi, cet aspect du métier. La jeune femme croit cependant que les nouveaux cours de sociologie obligatoires pour les futur(e)s policiers et policières, à travers lesquels les apprenti-policiers et les apprenti-policières sont sensibilisé(e)s au profilage racial et aux différentes minorités ethniques et sexuelles, sont la solution à ce déficit de confiance envers les forces de l’ordre

« Ce n’était pas comme ça avant. […] Ces cours vont aider. Entre 17 et 20 ans, c’est facile de changer nos préjugés, tandis qu’à 40 ans, bonne chance », affirme-t-elle. Perplexe face au mouvement Defund the Police à première vue, elle concède que « couper un peu serait envisageable », notamment si c’est pour permettre d’ouvrir plus de refuge pour les personnes en situation d’itinérance.  

Une question de choix

Selon les consultations prébudgétaires réalisées en août dernier, 60% des Montréalais et des Montréalaises sont en faveur d’une réduction des services de police. Pourtant, les recommandations de la coalition, qui allaient dans ce sens en suggérant une coupure de 50% de ce budget, ont été ignorées par la Ville.

Une réduction des services serait une façon de réduire le budget de la police. Une autre serait de couper dans les salaires des employés et employées du SPVM. Les constables en service depuis 6 ans seront payés 86 993$ par an en 2021. Il s’agit d’une dépense justifiable selon Mélanie*, pour qui le stress qu’implique ce métier légitime un salaire plus important que la moyenne, au risque de décourager les candidats et les candidates à s’engager dans la profession. 

Antoine* dénonce de son côté les choix de société qui sont faits depuis longtemps, à savoir «  couper dans les services sociaux pour investir dans la répression ». L’étudiant cite en exemple la mise à pied de 11 intervenants et intervenantes spécialisé(e)s en itinérance à l’Accueil Bonneau, dans le Vieux-Port de Montréal, et leur remplacement par des gardes de sécurité de la firme Garda non-formés en la matière.

Selon lui, la rémunération des travailleurs et travailleuses, qu’on qualifie aujourd’hui d’essentiel(le)s, illustre de façon très claire les choix cruciaux effectués par les pouvoirs politiques. « Les policiers vivent encore dans un régime d’État social. Ils ont encore les bons salaires et les avantages sociaux », déplore-t-il, pointant du doigt le contraste saisissant avec les conditions de travail, bien plus précaires, des travailleurs et travailleuses communautaires.

*Nom fictif

Mention illustration Édouard Desroches | Montréal Campus

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