La disparition progressive des enseignants masculins au primaire entraîne son lot de dommages collatéraux. Certains sont prêts à désavantager les femmes pour créer un équilibre en milieu scolaire.
La présence masculine dans les écoles primaires se résume souvent au responsable de l’entretien ménager et à l’enseignant d’éducation physique. Le corps professoral est en majorité composé de femmes, de sorte que les élèves croisent rarement des hommes pendant leur parcours scolaire. Les jeunes garçons sont les plus affectés par ce déséquilibre, ayant peu de modèles auxquels s’identifier. Certaines directions d’école sont prêtes à favoriser l’embauche d’hommes au détriment d’enseignantes avec les mêmes qualifications, une mesure loin de faire l’unanimité.
Pour le professeur au Département d’éducation et formation spécialisées de l’UQAM Gérald Boutin, privilégier les enseignants masculins lors du recrutement n’est pas la bonne solution. «Je crois que ça dévalorise une profession quand on travaille de cette façon», déplore-t-il. Le professeur est tout de même d’avis que les hommes apportent un autre modèle d’enseignement, approprié pour la réussite des jeunes garçons. «C’est quelque chose d’aidant d’avoir comme modèle de référence un homme plutôt intellectuel, qui lit et qui s’intéresse à la culture», soulève le professeur.
De son côté, le professeur en adaptation scolaire à l’Université Laval, Égide Royer, est favorable à une discrimination positive envers les enseignants masculins, dans une situation où un homme et une femme seraient à compétences égales. «Le taux d’hommes au primaire présentement est de 11 % et continue à descendre», s’inquiète celui qui est aussi psychologue. Selon lui, ce manque d’engouement est directement lié aux rares modèles d’enseignants masculins auxquels sont confrontés les jeunes. «Pour un petit garçon qui fait toute son école primaire où il n’y a que des femmes, comment peut-il penser devenir enseignant lui aussi ?» se questionne Égide Royer. Les garçons quittent l’école parce que les professeurs ne leur présentent pas suffisamment de projets près de leurs intérêts, selon Gérald Boutin. «C’est important de demander l’avis des hommes sur le choix des méthodes et des sujets pour faire en sorte que les garçons puissent se retrouver un peu plus à l’école», souligne-t-il. Sur 150 finissants en enseignement primaire à l’UQAM, seulement une dizaine sont des hommes.
Pour sa part, l’enseignant de français au secondaire Martin Lépine peut témoigner de l’impact des modèles masculins sur les jeunes garçons. Il a été titulaire de classe au primaire pendant sept ans, après qu’un poste lui ait été offert par une ancienne directrice qui l’avait embauché au secondaire. «On me proposait de venir enseigner en cinquième année du primaire. Jamais je n’avais envisagé cette possibilité. Mais à ce moment-là, je me suis rappelé que lorsque j’étais élève, en sixième année, j’avais eu un homme comme enseignant qui m’avait marqué positivement», se souvient celui qui est maintenant vice-président de l’Association des enseignants et enseignantes du primaire. «Je me suis donc senti capable de le faire moi aussi et je me voyais prendre sa place en quelque sorte», raconte-t-il. Pour attirer davantage d’hommes, la valorisation de la profession est la première solution à envisager, selon Gérald Boutin. «On s’imagine une carrière ou une profession dans la mesure où on en entend parler de façon positive, rappelle le professeur. Il faut proposer aux garçons des témoignages d’hommes qui enseignent pour aller rapidement à l’encontre des stéréotypes et des préjugés». Même son de cloche pour Égide Royer selon qui des programmes devraient encourager les hommes à aller vers des métiers d’aide comme l’enseignement ou la psychologie. Il faut assurer une relève de garçons dans les prochaines années, renchérit Martin Lépine. «Il faut mettre les hommes en valeur dans des publicités nationales qui valorisent l’éducation», suggère-t-il.
Recruter chez les deux sexes
Égide Royer estime qu’il ne faut pas s’arrêter au manque d’hommes en enseignement, mais plutôt s’attarder à la situation d’ensemble, qui touche les deux sexes. Le psychologue rappelle qu’à l’heure actuelle, le taux d’obtention d’un diplôme à l’université chez les hommes est de 25 %. «Il y a tout simplement moins d’hommes que de femmes qui se rendent à l’université. Par la force des choses, cela fera moins d’enseignants», évoque-t-il. Les modèles masculins seraient alors primordiaux pour l’avenir des jeunes, dès leur entrée dans le système scolaire.
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