Hôpitaux-poubelles

Enseveli sous un amas d’objectifs déjà difficiles à atteindre, le personnel des hôpitaux québécois peine à reprendre son souffle pour soigner l’environnement. La planète se retrouve ainsi dernier patient au triage. 

Au détour d’un corridor, un bac bleu passe inaperçu entre les infirmières qui se pressent et les visiteurs préoccupés. Dans les chambres des patients, les poubelles se remplissent à vue d’œil. Pour Geneviève*, infirmière à l’hôpital Sainte-Justine, les quelques pas pour atteindre le bac de recyclage au poste des infirmières semblent énormes dans une journée de travail surchargée. «Les trois quarts des gens mettent tout à la poubelle», confie-t-elle. Une étude menée entre 2004 et 2009 par Recyc-Québec et NI Environnement estime à 97 701 tonnes l’étendue des déchets produits annuellement par le réseau de la santé. Quantité d’efforts devront être fournis par le personnel des établissements afin d’améliorer le bilan écologique de ces géants consommateurs.

Si le gouvernement a émis des règlements en matière de gestion des résidus, aucun n’oblige les hôpitaux à implanter une politique environnementale. «Tu jettes l’emballage du soluté avant de l’installer. Ça remplit la moitié d’une petite poubelle à chaque fois. Et ça c’est si tu ne rates pas», se désole Geneviève. Bien que le temps manque, c’est surtout le caractère non-réutilisable des objets qui l’oblige à tout mettre à la poubelle. Une bouteille d’eau saline, par exemple, ne peut être conservée que 24 heures après son ouverture. «La plupart du temps, on jette le pot et les 400 millilitres qu’on a pas utilisés», regrette l’infirmière.

Depuis 10 ans, on soigne davantage avec du jetable qu’avec des produits réutilisables, déplore le consultant en environnement spécialisé dans le domaine de la santé, Jérôme Ribesse. Dans le processus d’élaboration d’une politique environnementale, la direction d’un établissement de santé doit toutefois passer tous les aspects sous le microscope avant de pouvoir se permettre d’acheter de façon responsable. «Le nettoyage des matières réutilisables peut polluer davantage que l’enfouissement de produits jetables», nuance le consultant.

L’orientation ministérielle en termes de gestion des déchets en est au stade de l’incubation, indique le directeur de la logistique socio-sanitaire au ministère de la Santé et des Services sociaux, Marc Beauchemin. «La première étape sera d’établir un bilan de la situation, puis nous proposerons un plan d’action», révèle-t-il. Bien qu’à ce jour il ne connaisse pas précisément ce que le Ministère suggèrera aux hôpitaux, Marc Beauchemin suppose qu’il pourrait y avoir un volet en développement durable pour les encourager à recycler et à réutiliser. Il est d’avis qu’il faudrait réduire la consommation à la source. «Le courant de pensée qui prône le jetable pour éviter les risques de contamination entre en conflit avec la volonté de réutiliser, explique-t-il. Tôt ou tard, il va falloir travailler là-dessus.» Le directeur n’opère toutefois pas directement sur l’approche des comités verts des hôpitaux, qui dépendent de l’ensemble du personnel hospitalier.

Présentement, les établissements de santé s’inspirent du Plan d’action en développement durable 2008-2015 du ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs pour définir leur vision de l’écologie. À ces balises s’ajoute le programme «Ici on recycle» de Recyc-Québec. Seulement trois centres de santé québécois participant au programme en sont au stade de la performance. Les autres figurent sur les listes de ceux qui ont émis un engagement ou qui ont commencé à recycler.

Une opération de sensibilisation pourrait avoir lieu dans tous les hôpitaux pour réduire la quantité d’emballages traités comme objets dangereux, selon Jérôme Ribesse. «Lorsqu’on identifie les déchets qui se retrouvent dans les sacs jaunes, destinés aux rebuts ayant été en contact avec les tissus des patients, on se rend compte qu’il y a beaucoup de choses qui pourraient être recyclées», note-t-il. Le spécialiste a diagnostiqué une lacune au niveau du tri des résidus par le personnel de certains hôpitaux. «On a tous une formation à notre arrivée pour trier les déchets, affirme Geneviève. Mais on n’a pas le choix de jeter beaucoup, parce que tout ne se réutilise pas.»

Des pratiques plus vertes permettraient également une réduction des dépenses, considérant que les déchets biomédicaux représentent 16% de ce que jette un hôpital. «Le biomédical coûte 10 à 20 fois plus cher à traiter que les déchets normaux», soulève le consultant. Une fois stérilisés, les déchets biomédicaux non-anatomiques placés dans les sacs jaunes sont enfouis. Si certains hôpitaux n’ont qu’une opération de sensibilisation à mener, d’autres n’ont toujours pas de système de recyclage pour ces emballages. Dans le dossier de la réduction des déchets hospitaliers, la première étape vise souvent le recyclage du papier et du carton, puisqu’elle est simple à réaliser, assure Jérôme Ribesse. Viennent ensuite la gestion des plastiques, plus complexe, puis le compostage, où la volonté du personnel est grandement interpellée.

Les sacs de solutés des patients de Geneviève ne constituent qu’un faible pourcentage de ce que les infirmières ne peuvent jeter dans le bac bleu. Marc Beauchemin rappelle l’ampleur de la tâche. «Il est du ressort de tous les acteurs du système de la santé de se concerter dans le but d’atteindre les objectifs dont la planète a besoin.»

*nom fictif
Photo : Quarin Photography

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