Payer ses études en nature

Entre les lacunes du programme d’aide financière aux études et la flambée du coût de la vie étudiante, certains universitaires ont tendance à verser dans le monde du X pour acquitter leurs factures accumulées. Se déshabiller pour mieux s’instruire?

Certains s’adonnent à des appels et massages érotiques, alors que d’autres se livrent à des stripteases sur le Web. Les plus audacieux offrent même leurs services dans des agences d’escortes. Mais loin d’être prisonniers du monde interlope, ces travailleurs du sexe y plongent en toute connaissance de cause. Peuplant les classes des universités avoisinantes le jour, ce sont des étudiants qui choisissent, le soir venu, de troquer bouquins et cafés contre habits affriolants et lingerie fine. Une façon comme une autre de financer ses études, soutiennent-ils.

Mélissa*, jeune uqamienne, s’est tournée vers l’industrie du sexe sur les conseils d’une amie. «Mes parents font trop d’argent pour que j’obtienne une bourse, mais pas assez pour m’aider suffisamment», avoue-t-elle. Elle a donc déniché, il y a presque deux ans, un emploi dans une agence d’escorte de la métropole et vend maintenant son temps à des hommes en quête d’un peu d’affection. Elle parle de ses activités nocturnes comme d’un «job normal». Mélissa dit rencontrer fréquemment des étudiantes de l’UQAM qui travaillent dans la même agence.

Même si les chiffres décrivant la prostitution estudiantine au Québec sont denrée rare, la pratique est largement observable et se concentre surtout à l’Université du peuple en raison de sa situation géographique, selon Michel Dorais, sociologue de la sexualité et professeur en sciences sociales de l’Université Laval. Il explique le phénomène par la banalisation des rapports sexuels et par l’abondance de la demande dans ce milieu. «Beaucoup d’occasions s’offrent aux étudiants de plonger dans le monde du X. La mention ″Idéale pour étudiantes″ pullule dans les petites annonces», souligne-t-il.

L’accessibilité à Internet séduirait aussi de plus en plus d’étudiants qui envisagent de mettre leur corps à profit, puisque cette plateforme rend leur travail plus sécuritaire et discret. Les travailleurs du sexe n’ont plus besoin de solliciter publiquement, risquent moins de se retrouver sous «le joug du crime organisé» et n’ont pas à partager leurs revenus avec des proxénètes.

Et la rémunération peut être très attrayante pour les universitaires qui n’en peuvent plus de se nourrir de Kraft Dinner et de toasts au beurre d’arachides. «On fait plus en 2 heures que ce que les autres étudiants font en 35 heures au salaire minimum. Ça nous laisse ainsi le temps d’étudier et d’avoir une vie sociale active», admet Mélissa. Elle a beaucoup moins de préoccupations et se permet même un peu de luxe. Adepte de bons restaurants, elle peut maintenant «se gâter», raconte-t-elle.

La propriétaire et tenancière du 281, Annie Delisle croit qu’en plus d’alléger les soucis financiers, le fait de gagner sa vie avec son corps apporte une certaine valorisation. «Le jour, les étudiants ne sont pas arrangés et adoptent un style plus nerd à l’école, mais le soir, ils se transforment en ″sexbomb″ et attirent le regard de toutes les filles», dit-elle. Certains danseurs du 281 s’en vantent même auprès de leurs collègues de classe.

À part quelques exceptions – comme les danseurs du 281 – les étudiants masculins qui œuvrent dans l’industrie du sexe sont moins nombreux que leurs collègues féminines. Rezosanté, un organisme qui vient en aide aux travailleurs du sexe dans le Village gai de Montréal, affirme rencontrer peu d’étudiants masculins. De son côté, l’organisme Stella estime que 30% des 6000 femmes à qui il offre du soutien sont encore sur les bancs d’école.

Le revers de la médaille
Évidemment, le marché de la peau n’a pas que des bons côtés. La prostitution, par exemple, est vécue différemment pour chaque personne. «Certains y voient une forme de service social et une expérience positive, affirme Michel Dorais. Par contre, certains étudiants continuent de faire le commerce de leur corps malgré leur inconfort. Cela peut entraîner des séquelles psychologiques graves.»

Quoique stigmatisée, vendre sa peau «demeure une option parmi les choix restreints qui s’offrent aux étudiants», selon le sociologue de la sexualité. Une fois leur diplôme en poche, certains continuent même de vendre leurs charmes à temps partiel afin de boucler leurs fins de mois. Toutefois, un employé d’une agence d’escorte montréalaise, qui préfère garder l’anonymat, rappelle que le financement des études est «l’argument préféré des escortes pour justifier leur travail». Alors, la prochaine fois qu’une demoiselle vous promettra que le billet de 20 $ que vous glissez dans son soutien-gorge atterrira dans les coffres de l’UQAM, n’hésitez pas à lui demander sa carte étudiante.
* Nom fictif

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