La troisième voie

Les galeries d’art universitaires sont longtemps restées dans l’ombre des musées, ces Goliath de la diffusion de l’art. Elles s’efforcent aujourd’hui de garder l’équilibre entre leurs différents mandats, sans rester dans les hauteurs ni tomber dans les marges. 
Photo: Jean-François Hamelin 
 
Les photos de Martha Wilson ornent les murs de la galerie Léonard et Bina Ellen de l’Université Concordia. Une foule d’étudiants évoluent dans les cinq aires d’exposition, et discutent en attendant le début de la conférence de l’artiste américaine. Si les premiers musées universitaires étaient scientifiques, ils ont depuis changé de parallèle pour s’arrimer au réseau de l’art actuel. 
Tributaires de la communauté universitaire et héritiers des collections accumulées par leur institution, ces musées alternatifs ouvrent une troisième voie, entre les institutions publiques et les établissements privés. Redevable à sa direction et non à l’État, chaque galerie universitaire défend ses couleurs et ses mandats. Ceux-ci se divisent à proportions variables entre la diffusion et l’entretien de la collection, les expositions temporaires d’artistes reconnus et celles des étudiants. Au confluent des courants actuels, les galeries accueillent toutefois davantage de projets de l’extérieur. 
«Certains étudiants m’écrivent pour se plaindre qu’il n’y a pas assez d’expositions de leurs collègues, explique la directrice de la Galerie de l’UQAM, Louise Déry. Ils me disent: “Michael Snow est un artiste canadien très connu, je peux voir ses œuvres n’importe où”. Je réponds: «Tant mieux, mais quand tu les vois ici, c’est dans un contexte particulier. Vas-tu voir les installations d’Erwin Wurm en Autriche? Est-ce que tu vas voir Cloaca no5 de Wim Delvoye en Belgique?» Le rayonnement d’un lieu de diffusion passe par ses expositions, croit-elle, puisqu’elles permettent de se faire connaître sur la scène internationale. Sa participation à la Biennale de Venise en 2007, où elle a été commissaire pour l’exposition du sculpteur montréalais David Altmejd, a permis à la Galerie de l’UQAM d’acquérir une réputation mondiale. Deux ans plus tard, c’était à la directrice de la Justina M. Barnicke Gallery de l’Université de Toronto, Barbara Fischer, de présenter le travail de l’artiste ontarien Mark Lewis. 
La cartographie du milieu de l’art contemporain s’est modifiée dans les années 1960 avec la naissance du Musée d’art contemporain de Montréal (MACM), par la ratification d’une loi. D’une voix tranquille, sourire aux lèvres, la conservatrice en chef du MACM, Marie Fraser, explique que les galeries universitaires se sont érigées comme une troisième voie entre les musées d’État et les centres d’artistes autogérés. Elles n’ont ni les budgets des uns ni le fonctionnement des autres. Le MACM dispose de subventions du gouvernement québécois de près de 10 millions de dollars. En comparaison, la valeur totale de la Galerie de l’UQAM est d’un peu plus d’un million. Difficile toutefois d’établir une hiérarchie entre les institutions. «Au musée, on pourrait exposer un artiste qui irait ensuite dans un centre d’artistes puis dans une galerie d’art universitaire. Et vice-versa», reconnaît Marie Fraser.
À l’image des musées d’État, elles ont l’obligation de publier des catalogues d’exposition. Selon la critique d’art du quotidien Le Devoir, Marie-Ève Charron, l’excellente qualité de ces catalogues permet aux espaces de diffusion universitaires de rayonner au-delà des limites du campus. «Il serait faux de croire qu’une rivalité existe entre ces deux joueurs, mais on ne peut pas dire qu’il y ait une grande collaboration entre les galeries d’art universitaires et le MACM.» 
 
Photo: Jean-François Hamelin 
 
 
Identité divisée 
Les galeries d’art universitaires ont fait leur place sur la mappemonde des musées. Les projecteurs sont maintenant braqués sur elles et, grâce à leur direction, elles dépassent les frontières du campus.  D’après le directeur des cycles supérieurs en muséologie de l’UQAM, Yves Bergeron, chacun insuffle sa propre vision, oriente les voiles du centre qu’il dirige. «Il ne faut pas regarder que l’institution, mais aussi la personne qui est à sa tête. Lorsqu’on fait l’histoire des musées, on fait aussi l’histoire de leurs dirigeants. Certains sont déterminants. D’autres, des espèces de trous noirs.» Autant dans les musées d’État que dans les galeries universitaires, ces directorats décident de l’importance accordée aux catalogues d’exposition. Les institutions de haut savoir offrent toutefois plus de latitude sur ce point. 
Lorsque Michèle Thériault est arrivée à la tête de la Galerie Leonard et Bina Ellen de l’Université Concordia, le lieu d’exposition aux larges vitres et aux hauts plafonds programmait des expositions essentiellement canadiennes. L’ancienne conservatrice du Musée des beaux-arts de l’Ontario a insufflé sa vision, axée sur l’art actuel. «J’ai tenu à ce qu’on s’ouvre à l’international, dit-elle. J’ai même rencontré une certaine résistance lorsque j’ai voulu qu’on se détache du mandat national. Certains donateurs estimaient que si l’on ne conservait pas cette spécificité, la Galerie perdrait de son importance. Exposer des œuvres qui proviennent du Canada et de Montréal a été nécessaire à une époque. C’était un mode d’affirmation que d’exposer l’art de chez nous. Maintenant, c’est important de s’inscrire dans la communauté artistique mondiale.» 
Cependant, son désir d’orienter la galerie vers l’art conceptuel étranger n’exclut pas les étudiants. «J’ai voulu que nous gardions un lien avec les artistes de l’avenir, bien que nous n’ayons pas comme mandat de les exposer. Une fois par année, nous présentons dans le cadre de l’exposition Ignition le travail d’étudiants à la maîtrise. La galerie de la Faculté des beaux-arts (FOFA) expose régulièrement des professeurs et les projets des cycles supérieurs.» Concordia compte aussi une troisième galerie sur son campus: la galerie VAV, entièrement gérée par des étudiants. 
Dans les bureaux de la Galerie de l’UQAM qui jouxtent les salles d’exposition, les employés s’affairent malgré l’heure matinale. La directrice, Louise Déry, promène un regard allumé et enthousiaste sur les lieux. La programmation de la Galerie de l’UQAM possède deux volets, indique-t-elle. «Il y a les expositions des étudiants et les expositions qu’on veut montrer aux étudiants.» Deux à trois dossiers de l’École des arts visuels et médiatiques sont choisis chaque année. Les artistes étudiants ont ainsi la chance de présenter leur projet dans la plus petite des deux salles. Une expérience majeure pour un artiste en fin de parcours universitaire, comme Simon Bertrand, qui y a présenté son travail en 2009. «C’est comme gagner le gros lot! s’exclame-t-il.
 
Il y avait une rivalité serrée avec les autres candidats de la maîtrise.»  Celui qui travaille à une retranscription à la main de la Bible n’a que de bons souvenirs de son expérience. «L’équipe s’occupe d’envoyer l’invitation au vernissage aux galeries, de faire la publicité et des relations aux médias. Elle t’aide aussi à composer ton dossier de presse, faire la mise en espace.» Son exposition lui a permis de se faire des contacts, mais surtout d’obtenir une excellente visibilité, le plus important pour un artiste en début de carrière. «J’avais déjà exposé à Art Mûr, au Belgo et dans différentes expositions collectives. Mais je n’avais jamais eu une expo solo de l’envergure de celle de l’UQAM. Louise Déry m’a permis de connaître des gens. Elle est en contact direct avec le milieu.» Il a d’ailleurs rencontré le directeur de la maison de la culture Marie-Uguay, où il a présenté son travail en septembre dernier. Certains de ses collègues ont préféré exposer au Centre d’expérimentation de l’Université (Cdex), un lieu géré par l’École des arts visuels et médiatiques, ou dans des galeries privées. 
L’argent de l’art 
La plupart des galeries universitaires ont le mandat d’entretenir leur collection, composée d’œuvres données ou acquises, de l’art précolombien au Loup-Garou 1 de David Altmejd, en passant par les toiles de Claude Tousignant. L’UQAM possède une collection de 4 000 œuvres héritées de l’ancienne École des beaux-arts de Montréal, qui a fermé ses portes en 1969. Beaucoup d’artistes veulent céder leurs œuvres, affirme Louise Déry, mais les dons aux galeries ne sont pas sans coûts. «Le transport, la recherche et les expertises coûtent cher. Chaque don demande des dépenses de deux à trois mille dollars. Nous n’avons pas les moyens d’accepter des dons au-delà d’un certain nombre par année. Pour qu’une œuvre entre dans la collection, ça nous prend quatre à six semaines pour la documenter et voir où elle se situe dans la pratique de l’artiste.»
 
Dans cette optique, les galeries universitaires sont en compétition avec les musées privés pour obtenir les sources de financement, précise Yves Bergeron. Les bourses au projet du Conseil des arts et lettres du Québec et les enveloppes d’aide au fonctionnement du Conseil des Arts du Canada sont ainsi convoitées par les deux types d’institutions. Comme les galeries d’art universitaires sont subventionnées par le ministère de l’Éducation par le biais de leur établissement, elles ne sont pas admissibles aux bourses du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF), sauf exception, signale Louise Déry. «C’est très rare que l’on reçoive de l’argent du gouvernement du Québec et de ses ministères. Parfois, le ministère des Relations internationales nous soutient lorsque nous avons un projet à l’étranger avec un artiste québécois.» Seules la galerie d’art contemporain de l’Université Sherbrooke et celle de l’Université Bishop’s bénéficient d’une aide du MCCCF, puisqu’il n’y avait pas de musée ou de centre d’artistes dans la région lorsqu’elles ont ouvert leurs portes. Fait à noter, aucune bourse gouvernementale n’est disponible pour accueillir des expositions d’étudiants. «Les fonds que l’on reçoit, ce sont pour les expositions professionnelles. Autrement, il n’y a pas de subventions. On produit les expositions des étudiants à même notre budget. Après tout, on ne va pas les laisser tomber!» 
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Les femmes en tête 
Les femmes composent la majorité des conservateurs et des directeurs de galeries d’art universitaires de la province. Elles ont souvent œuvré au sein de musées étatiques ou privés avant de prendre la barre d’un lieu d’exposition universitaire. Michèle Thériault a travaillé comme conservatrice au Musée des beaux-arts d’Ontario avant d’obtenir la direction de la Galerie Leonard et Bina Ellen. Louise Déry est à la tête de la Galerie de l’UQAM depuis onze ans. Elle a déjà occupé le poste de conservatrice de l’art contemporain au Musée national des beaux-arts de Québec et au Musée des beaux-arts de Montréal, en plus d’avoir dirigé le Musée régional de Rimouski. À l’Université Laval, Lisanne Nadeau a été engagée au centre d’artistes La Chambre blanche de Québec avant de prendre le rênes de la galerie de l’université. Celle de l’Université Bishop’s, de l’Université Sherbrooke et de la Justina M. Barnicke Gallery de l’Université de Toronto sont aussi dirigées par des femmes. 
 
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La science d’abord 
Les musées de sciences universitaires ont été les premiers centres d’exposition au pays. Le Musée Redpath de l’Université McGill a joué un rôle important dans la diffusion de la connaissance et de la formation scientifique. Il a été lié notamment à la Commission géologique du Canada, qui est aussi à l’origine du Musée de la civilisation. L’Université de Montréal possède quant à elle de nombreuses collections, autant de dentisterie, d’anthropologie que d’œuvres d’art. Le Centre d’exposition, dirigé par Louise Grenier, a été fondé en 1998. Il a pour mission de donner une vitrine à l’art, en plus d’assurer un large espace aux projets des étudiants de la Faculté d’aménagement. 

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