Ramasser les miettes

Loin de l’agitation artistique de Montréal, l’art en région est le parent pauvre de l’industrie culturelle québécoise. Si certains artistes ont le ventre plein, les producteurs sont nombreux à se serrer la ceinture.
 
Courtoisie: Chantal Archambault
 
 
Chantal Archambault est une auteure, compositrice et interprète  de l’Abitibi-Témiscamingue qui s’est fait connaître en 2008 avec un album  auto-produit et ses prestations remarquées en première partie de Tricot Machine, Dany Placard et Caloon Saloon. Elle remporte le prix du public au Festival de la relève indépendante musicale en Abitibi-Témiscamingue (FRIMAT) cette même année et participe aux Francouvertes en 2009. La jeune artiste a maintenant un deuxième album à son actif, La romance des couteaux, sous l’étiquette Indica. Elle vit présentement dans sa ville natale, Val d’Or, et n’a pas l’intention de migrer vers Montréal pour exercer son métier de chanteuse. Ayant pour l’instant un deuxième emploi, elle a la ferme intention de ne vivre que  de son art, et croit en cette possibilité,  même en région. «Je ne sais pas si les régions éloignées sont défavorisées par rapport à la variété de diffusion, mais une chose est sûre, l’effervescence culturelle est une question de ville. À Val d’Or, il y a très peu de lieux propices à la diffusion de la culture. Pas très loin, par contre, à Rouyn-Noranda, il y en a beaucoup. Le niveau d’activité  culturelle d’une ville ou d’une région dépend plus intimement de la volonté de ses habitants à favoriser l’émergence de la culture.»  
Montréal possède la population active culturelle la plus nombreuse et la plus diversifiée du pays, selon des études réalisées par Statistique Canada en 2006 et 2007, sur l’écart entre les milieux urbains et les milieux ruraux en matière de professions. Sur quelques 106 335 travailleurs du milieu des arts d’interprétation au Canada, par exemple, Montréal en comptait 17 885, soit près de 17% de cette population artistique active.  20% pour l’industrie du film et du son et encore 18% en radiotélévision.  Pour ce qui est des régions éloignées, une des études conclut que les marchés locaux sont en général insuffisants pour soutenir l’industrie culturelle, et que  les régions rurales qui dénotent une haute proportion d’emplois culturels le doivent aux exportations ou à la proximité territoriale d’un grand centre urbain. La ville de Granby, notamment, a vu éclore son Festival international de la chanson, rejoignant les acteurs culturels  comme Montréal.  
 
La métropole et la capitale-Nationale ramassent aussi la plus grande part du gâteau pour ce qui est des subventions accordées à la culture, selon le budget québécois de 2010. La  Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) a alloué en 2009-2010 plus de 51 millions de dollars à la métropole sur les 62 millions de subventions consenties à l’ensemble de la province. «C’est normal puisque  Montréal et  Québec ont des dépenses culturelles beaucoup plus importantes que dans les autres régions, explique Daniel Cloutier, directeur général des politiques de culture et de communications au ministère de la Culture. Le Ministère a toutefois un souci d’équité envers toutes les régions». Selon le budget de Québec 2010, l’aide financière aux régions se manifeste surtout dans le soutien aux bibliothèques, aux musées et aux diffuseurs pluridisciplinaires.  
 
La culture, même au nord
Quelque 630 kilomètres au nord de la métropole, à Rouyn-Noranda, le Cabaret de la dernière chance s’efforce, depuis 1985, de sortir les artistes de l’anonymat et de faire briller la culture en Abitibi-Témiscamingue. Le petit bar-spectacle a sa propre maison de production, Les Productions Parallèle 48, incorporée en tant qu’organisme sans but lucratif depuis 1987. Pour Danielle Gosselin, directrice de la compagnie,  la situation est d’autant plus compliquée en région que les coûts de production y sont plus élevés et le financement y est moindre. «Il y a des coûts de production supplémentaires en régions éloignées, le transport, l’hébergement et les repas par exemple. Je crois que le financement va un peu de pair avec la population desservie.
Nous sommes moins nombreux, donc moins importants aux yeux du gouvernement et invisibles aux yeux de la population en générale.» Elle soutient que leur travail n’est pas non plus reconnu par la ville de Rouyn-Noranda.  
 
Le Réseau indépendant des diffuseurs d’événements artistiques unis (RIDEAU) a réalisé en 2009 une étude sur ses 112 membres diffuseurs, d’un bout à l’autre du territoire québécois, en 2009. Selon cette étude, 21% de ces diffuseurs se retrouvent en région éloignée et la totalité est soutenue financièrement par le ministère de la Culture. C’est aussi  les régions éloignées qui accueilleraient le plus grand nombre de diffuseurs indépendants. L’aide semble toutefois insuffisante pour garantir la survie de ces organismes, puisqu’en 2008, au moins 40% d’entre eux enregistraient un déficit.  
 
Au Cabaret de la dernière chance, il existe un fond enregistré qui a été mis en place en 2007 par les Productions Parallèle 48 afin de rééquilibrer le déficit des productions. Sous le sceau de Fonds du coffre, il couvre à 15 % les dépenses du Cabaret. «Pour travailler au bar-spectacle, les employés doivent accepter de verser une cotisation sous forme de don au Fonds du Coffre. La totalité des revenus du fond est ensuite investie dans les activités culturelles produites au Cabaret», raconte Danielle Gosselin.  Selon elle, il s’agit plus d’un mode de survie que d’un mode de financement. «Il n’est pas souhaitable en générale que la diffusion de la culture tienne surtout sur la bonne volonté de quelques illuminés. Nous sommes tous de petits salariés. Pour que ce soit rentable, il faut qu’il y ait énormément d’activités culturelles».
 
Quant à elle, la chanteuse Chantal Archambault,  admet  qu’elle rayonnerait peut-être plus si elle avait plié bagages vers Montréal.  «Parce que je ne suis pas partout en même temps, dit-elle. Mais quand je me déplace, le programme Musicaction m’offre des per diem pour financer mes tournées. Et je crois tout de même être reconnue par le milieu artistique de Montréal.» Malgré la distance, elle reste convaincue: vivre de son art en région ne relève pas de l’utopie, et ce, en grande partie grâce au travail de sa gérante. «Je ne sais pas à quel point je vivrais bien, mais c’est dans mes plans d’avenir rapproché de quitter mon emploi actuel pour être chanteuse, et je suis certaine d’y arriver.»
  
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Une Charte pour la culture
En mars 2009, le Québec se lançait dans un projet d’intégration de la culture dans le développement durable. L’Agenda 21C, entrepris par le ministère de la Culture, s’inspire des deux Agenda 21 de la culture adoptés à ce jour; le premier en 2004 à l’occasion du Forum universel des cultures de Barcelone et le deuxième en 2007 par les États membres de l’Union européenne. L’objectif? Bâtir une Charte qui inscrirait les principes de base de la culture québécoise comme acteur clef de la société, tant dans sa diversité que dans ses innovations. Selon les principes de l’Agenda 21C, la culture «doit être placée au centre des stratégies de développement territorial» en raison, entre autres, de sa vocation à régénérer l’espace urbain. Le ministère de la Culture assure que la démarche d’élaboration de l’Agenda 21C rassemblerait toutes les régions du Québec. Des rencontres de dialogues et d’échanges auront lieu dans les différentes régions du Québec au cours des prochains mois et culmineront lors d’un Forum national sur le thème. «L’avenir de la culture au Québec, un engagement de tous les secteurs de la société».

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