Coup d’clavier

Les blogues politiques citoyens

Des opinions, un clavier d’ordinateur et du courage, c’est tout ce qu’il faut pour lancer un blogue à saveur politique. Titillés par les enjeux municipaux, plusieurs citoyens impliqués répondent à l’appel d’Internet.

llustration Sophie F. Chartier

La terre va Tremblay. Le titre de l’une des nouvelles du blogueur montréalais Marc-André Caron parle de lui-même. Passionné de politique et de la blogosphère, il ne cache en rien son désir de voir trébucher le parti Union Montréal aux prochaines élections. «Je n’ai jamais été un fan de Louise Harel, mais elle est la seule à offrir une véritable opposition au maire pour le moment.» Sur son blogue intitulé La terre va trembler, l’avocat de formation va même jusqu’à suggérer, avec une pointe d’humour, la candidature du chroniqueur vedette de La Presse, Yves Boisvert, pour déloger Gérald Tremblay de l’hôtel de ville.

Contrairement à Marc-André Caron, Pierre Lacerte n’avait jamais consulté de blogues avant de lancer Accomodements Outremont en 2007. Aujourd’hui, l’ancien journaliste y consacre plusieurs heures par semaine: lectures, demandes d’accès à l’information, mise à jour des sujets. Le citoyen d’Outremont espère ainsi ébranler le pouvoir politique dans son arrondissement. Tout indique qu’il a gagné son pari. «La mairesse Marie Cinq-Mars fait des boutons quand elle me croise et les résidants du quartier s’adressent à moi plutôt qu’à l’hôtel de ville lorsqu’ils ont un problème», s’amuse-t-il.

Au-delà des poussées d’acné, les blogues citoyens font parfois bouger les choses. En 2008, certains résidants d’Outremont ont réclamé le droit de participer aux consultations publiques sur l’agrandissement d’une synagogue de la rue Hutchison dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, qui leur était refusé par la mairesse Helen Fotopoulos. Les Outremontais avaient besoin d’un minimum de 8000 dollars pour porter leur cause devant les tribunaux. «Grâce aux efforts déployés sur le blogue, la communauté s’est mobilisée et nous avons accumulé près du double du montant nécessaire, mentionne Pierre Lacerte. Les tribunaux nous ont ensuite donné raison.»

Mais de là à influencer le résultat d’une élection avec un blogue, la marche est grande. Malgré les 2500 adresses uniques qui fréquentent sa page mensuellement, Marc-André Caron ne croit pas avoir suffisamment de poids pour brouiller le résultat du vote montréalais le 1er novembre.

Avec raison, pense le codirecteur du Groupe de recherche interdisciplinaire sur la communication, l’information et la société de l’UQAM, Éric George. Il affirme que même si la population s’informe de plus en plus sur Internet, la tendance ne profite pas nécessairement aux blogues citoyens. «Les études indiquent que les gens fréquentent surtout les sites des médias traditionnels.» Difficile, donc de se tailler une place dans le vaste univers du Web en tant que simple citoyen. «On a tous une attention limitée et les blogues des journalistes et des politiciens sont à l’avant-scène. Ils ont une plus grande notoriété et se renvoient des hyperliens de façon systématique. Le défi pour les nouveaux blogueurs, c’est d’attirer l’attention de la population… ou de l’un des grands médias!»

De la scie au clavier

L’ébéniste du village de Carleton-sur-Mer, en Gaspésie, Claude Bolduc, s’est lancé dans la blogosphère politique en mai dernier pour dénoncer certaines pratiques de son maire, Michel Lacroix. «Je suis très impliqué dans la communauté et je siège sur plusieurs conseils d’administration. Je me sers du blogue pour diffuser aux l’information que le maire ne souhaite pas faire savoir. Je veux éveiller la conscience des autres citoyens.»

Avec l’approche des élections municipales du premier novembre, la conjoncture était parfaite. Claude Bolduc était cependant loin de se douter de l’importance que son blogue a aujourd’hui au sein de la communauté de près de 4400 habitants. Sa page s’est rapidement transformée en un espace de débat public. Même l’une des candidates de l’équipe contestée, Julie Boudreau, a pris part ouvertement aux échanges pour répondre aux critiques. «J’aimais l’idée au début, mais j’ai cessé de participer au blogue parce que les débats devenaient non constructifs, affirme-t-elle. J’avais l’impression de constamment me faire rentrer dedans. Je préfère défendre mes idées de vive voix pour m’assurer d’être bien interprétée.»

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Après quelques dérapages autour de questions émotives, le blogueur de Carleton a dû fixer des règles pour assurer une meilleure ambiance entre les participants. «Je ne tolère plus les commentaires anonymes. Ça équivaut à prendre la parole à l’hôtel de ville avec un sac de poubelle sur la tête.»

De son côté, le professeur de communication à l’UQAM Éric George ne voit pas que du mauvais à l’anonymat sur Internet: «Il permet de s’exprimer librement tout en évitant les représailles. Le statut de certains blogueurs les empêche parfois de dévoiler leur identité.»

Car critiquer sur le Web n’est pas sans risque. À Carleton-sur-Mer, certaines personnes ont laissé entendre à Claude Bolduc que la tenue d’un blogue politique pourrait diminuer les ventes de son commerce. «Je n’ai jamais autant travaillé que maintenant», réplique-t-il.

Inconfortables avec les propos un peu trop salés de l’un de leurs camarades, les administrateurs du blogue La terre va trembler ont retranché ce membre de leur équipe. «On ne voulait pas tomber dans les attaques personnelles, explique Marc-André Caron. Contrairement aux médias traditionnels, nous n’avons aucun organisme de presse pour nous couvrir.»

Les blogueurs ne sont évidemment pas à l’abri des poursuites judiciaires. En novembre 2007, Pierre Lacerte a reçu une mise en demeure de 100 000$ pour avoir abordé la question du lobbyisme hassidique dans les coulisses de la mairie d’Outremont. Il est maintenant poursuivi pour 375 000$ parce qu’il n’a pas donné suite à cette demande: «Je sais qu’on ne cherche qu’à m’intimider pour que j’abandonne la bataille, mais c’est l’effet inverse qui se produit.»

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