«T’es rien qu’un stooler!»

«Le pouvoir, c’est tout pourri», philosophait une amie l’autre jour. Simplette, mais efficace, la formulation. Prenez l’exemple du sacro-saint autobus scolaire. Les plus jeunes en avant, les plus vieux en arrière. Crier des insultes aux nouveaux, lancer des boules de papier mâché aux rejets, fumer un petit joint: ceux qui sont en arrière, en plus d’avoir LES sièges de l’autobus, peuvent presque tout se permettre. Et personne ne dénonce. On sait tous qu’un jour, ce sera notre tour d’être derrière. Une solidarité qui se tisse autour du pouvoir convoité, mais surtout, de la crainte de se faire pourrir l’existence si on ose s’ouvrir le clapet. Même si la faute du plus vieux est flagrante et que la nier est absurde, on se tait. Les «stoolers», c’est mal vu.

Cette culture de l’omertà semble hélas aussi bien incrustée dans les corps de police que dans les autobus jaunes. Et les exemples pullulent depuis quelque temps. Prenez la Commission des plaintes du public contre la GRC, qui enquête présentement sur la mort de Robert Dziekanski, l’immigré polonais de 40 ans décédé à l’aéroport de Vancouver, en 2007, après avoir reçu cinq décharges de Taser en 30 secondes. Le policier qui a dégainé l’arme à impulsion y a comparu récemment. Il a soutenu, comme déjà deux de ses collègues, qu’il avait jugé nécessaire de tirer plus d’une fois. «Il brandissait l’agrafeuse, le poing en l’air, il s’approchait avec l’intention d’attaquer et donc, j’ai déclenché le pistolet», a-t-il expliqué à l’avocat de la Commission, l’assurance semblant lui faire défaut. Les deux premières décharges étaient sans doute justifiées. L’homme était hors de contrôle. Mais les trois autres étaient-elles nécessaires, surtout lorsqu’on sait qu’après trois décharges, les risques de devoir avoir recours à une assistance médicale sont de 66,7%? Certainement pas. Loin de moi l’idée de blâmer le jeune policier et son erreur, aussi fatale soit-elle. Soutenir que la sécurité de quatre policiers était en danger devant un homme armé d’une simple agrafeuse semble cependant absurde, surtout quand le policier qui l’affirme n’a plus l’air d’y croire. Les avocats de la Commission devaient se sentir comme un responsable de la vie étudiante cherchant à faire avouer à l’élève sage le nom du fumeur de l’autobus, qui avait lui-même nié les faits, malgré l’évidence de son délit. C’est que les forces de l’ordre canadiennes veulent continuer d’utiliser le Taser, comme l’élève sage veut pouvoir avoir sa place en arrière un jour, place qui serait peut-être compromise s’il se transformait en délateur.

L’honneur du policier était toutefois peut-être en jeu, une raison plus louable pour les policiers de la GRC de se tenir que pour certains de la Sûreté du Québec (SQ) de Sept-Îles, qui auraient donné dans la revente d’armes confisquées, vols, fraudes et abus de confiance durant les dernières années. Eux, par contre, ont eu affaire à un «stooler», le lieutenant Raymond Neveu, envoyé sur place en 2004 pour redresser la situation. Ce dernier, après avoir été témoin de nombreuses irrégularités au poste de Sept-Îles, avait rédigé un rapport et l’avait envoyé à la SQ, en 2005.

Parenthèse: Neveu agissait selon la Loi sur la police (LSP), qui fut l’émanation de l’enquête de la Commission Poitras de 1999. Celle-ci s’est penchée sur la culture de l’omertà à la SQ et a formulé des recommandations pour y remédier. La LSP rend obligatoire la dénonciation par leurs collègues des policiers étant soupçonnés d’avoir commis des actes criminels. Fin de la parenthèse.

Étrangement, le directeur du poste avait alors commencé à mener la vie dure à Raymond Neveu. Celui-ci avait même été arrêté pour menaces de mort et lésions corporelles à son encontre, des accusations qui planent toujours sur Neveu. Pas facile de «stooler», même quand la loi l’oblige.

Comment peut-on alors exiger des jeunes – et de la population en général – de briser la loi du silence quand le corps qui est censé faire régner l’ordre et la sécurité n’est pas capable de le faire? Qu’il s’agisse d’erreurs qu’il serait profitable d’avouer pour assurer une meilleure utilisation de la force policière ou encore d’histoires de corruption nuisibles à la transparence et la réputation de ceux qui nous protègent, la culture de l’omertà règne et donne le mauvais exemple, et ce, même s’il y a plus d’agents honnêtes que malhonnêtes.

 

Toute solidarité n’est pas bonne. Et lorsqu’elle s’installe pour une question de pouvoir et de privilèges, elle est «toute pourrie», comme dirait mon amie. À court d’arguments valables lorsqu’on lui demande pourquoi il laisse les plus vieux mener la vie dure à d’autres dans l’autobus sans dénoncer, le plus jeune vous le confirmera. Ce qu’il vous confirmera aussi, c’est que le dénonciateur, malgré toutes les lois tendant à le réhabiliter, sera toujours le rejet dont il faut se débarrasser.

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