À gauche du droit d’auteur

Un garçonnet blond se dandine en poussant un camion d’entraînement dès qu’il entend Let’s go Crazy, de Prince. Derrière la caméra, sa maman, Stephanie Lenz, est morte de rire. Ces trente secondes de pur bonheur familial, tournées en février 2007, auraient dû se fondre dans la masse de vidéos mignons qu’héberge le site Youtube. Pour une raison qui échappe encore à Stephanie Lenz, quelqu’un chez Universal Music Group a pourtant fait d’Holden, le bébé danseur, le symbole maléfique de l’utilisation illégale d’œuvres musicales.


Selon les dispositions actuelles de la loi américaine sur le droit d’auteur, Stephanie Lenz est une criminelle, qui s’expose à une amende maximale de 150 000 dollars pour avoir diffusé une «performance» non-autorisée de la mégastar des années 1980. Devant les menaces d’Universal Music Group, Youtube a cédé, retirant le vidéo litigieux de sa bande passante. Stephanie Lenz, elle, n’a pas baissé les bras. Scandalisée par l’absurdité de la situation – la qualité sonore de son vidéo est au mieux médiocre – elle a osé poursuivre le géant de l’industrie musicale.

Cet exemple, je l’ai «emprunté» à un autre et je doute qu’il m’en tienne rigueur. L’américain Lawrence Lessig, un professeur de droit à la Stanford Law School et un des fondateurs en 2001 de la licence libre Creative Commons, aime ébruiter l’histoire incroyable de Stephanie Lenz. Brett Gaylor, réalisateur de RiP: A Remix Manifesto, présenté au Cinéma du Parc depuis le 6 mars dernier, en a fait pour sa part l’un des pivots de son documentaire dédié à la question des droits d’auteur.

Le procès de Stephanie Lenz est l’ultime exemple de l’absurdité du cadre légal qui régit actuellement la propriété intellectuelle aux États-Unis. Ce cadre n’a pas été ajusté aux nouvelles façons de consommer la culture, associées à la généralisation du peer to peer. Devant la popularité des torrents et l’explosion du rythme de téléchargement chez les 18-35 ans, quel artiste peut encore espérer exercer un contrôle total sur son œuvre?

Que le cadre légal protégeant les artistes soit coercitif à l’excès, comme c’est le cas aux États-Unis, ou impuissant et mal défini, comme au Canada, force est d’admettre qu’il s’est avéré inefficace. Les Nord-américains téléchargent plus que jamais et les créateurs perdent des revenus.

Devant cette bataille perdue d’avance, certains artistes ont poussé la réflexion à l’extrême et ont forgé leur propre système en marge du cadre légal existant. Le copyleft, antagoniste du copyright, est un mouvement né de ce rejet d’une «judiciarisation» excessive du droit d’auteur, responsable à leurs yeux l’excès de zèle dont le cas de Stephanie Lenz est l’illustration ultime.

Ses adeptes peuvent, en adhérant par exemple à la licence Creative Commons, déterminer le degré de contrôle qu’ils désirent exercer sur leur œuvre. Car les nombreux artistes qui choisissent le copyleft n’ont pas l’intention de faire le don désintéressé de leur œuvre à l’humanité. Comme tout produit culturel, elle doit être attribuée à son auteur, qui doit également en récolter les bénéfices.

Associé à tort aux artistes marginaux avides d’attention, le copyleft s’est gagné de solides adeptes, comme Radiohead ou plus récemment,Trent Reznor (Nine Inch Nails). Son album Ghost I-IV, sorti sous licence Creative Commons en janvier 2009, était offert aux internautes en plusieurs versions, certaines gratuites, d’autres payantes, mais toutes légalement disponibles pour l’échantillonnage et les remixes. En une semaine, Ghost I-IV lui aura rapporté 1,6 M $. Contrairement à Radiohead, Trent Reznor a annoncé son intention de répéter l’expérience.

Ce n’est pas parce que Nine Inch Nails parvient à tirer un profit appréciable du procédé que le copyleft est parfait :ce modèle ne saurait être la solution ultime au problème du droit d’auteur. Pas plus que la répression de plus en plus sévère prônée par les États-Unis, d’ailleurs. Mais il laisse entrevoir l’existence potentielle d’une voie mitoyenne, un copymiddle, assurant à la fois la liberté créative des artistes et leur juste rétribution en fonction de leur apport respectif. Et où Holden pourra enfin se dandiner sur la musique de Prince sans se préoccuper des bonzes d’Universal.

culture.campus@uqam.ca

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