Ne plus jeter le bébé avec l’eau du bain

Le vendredi soir, alors que les universitaires normalement constitués sortent dans les bars, s’amusent et boivent leur jeunesse, je reste honteusement scotchée à mon canapé, devant Ghost Whisperer, cette émission vaguement ésotérique où Melinda Gordon, incarnée par Jennifer Love Hewitt, aide des fantômes à «rejoindre la lumière» et leur famille à en faire leur deuil. Mais je ne vais pas me répandre sur les talents de Madeleine de la productrice texane. En fait, je me disais que l’histoire du bébé mort-né retrouvé le 16 janvier dernier dans une blanchisserie de Montréal serait exactement le genre de cas où cette chère Melinda aurait pu être utile.

 

Une situation si absurdement lourde à porter pour une famille déjà en état de choc et un employé ayant commis une erreur d’inattention fatidique que seule une personne d’une douceur infinie dotée de pouvoirs surnaturels – à première vue tout aussi absurde que la situation, je vous l’accorde – pourrait les aider à comprendre et faire la paix avec ce qui est arrivé.

Rappel des faits. Le 16 janvier, des employés de la Buanderie Qualité, où est effectuée la lessive de l’Hôpital général du Lakeshore (à Pointe-Claire, dans l’ouest de l’île de Montréal), font une macabre découverte: le corps d’un bébé est trouvé dans l’une des machines à laver. À l’hôpital, le corps d’un bébé manque à l’appel. Le lien est fait, il s’agit du même. La petite dépouille avait été transportée le 14 janvier à la morgue, emmaillotée dans un sac en plastique et recouvert d’une couverture bleue. Plus tard dans la journée, un autre employé y avait transporté le corps d’un adulte. Soucieux du travail bien fait, il avait retiré, comme la norme le stipule, la couverture bleue du corps en question avant de la déposer sur la civière où reposait le bébé, avant de tout mettre au vide linge, sans s’apercevoir que sous les couvertures sales se trouvait un enfant mort-né. Pas de faute professionnelle, donc. Seulement une erreur commise par inadvertance, en raison de normes de gestion de dépouilles un peu trop laxistes.

Dans Ghost Whisperer, Melinda aurait parlé avec les parents, les aurait consolés et leur aurait assuré que leur bébé allait bien, que son esprit n’avait pas été traumatisé par le périple inusité de son petit corps. Elle aurait discuté avec l’employé fautif, lui aurait fait faire la paix avec les parents, lui aurait enlevé tout sentiment de culpabilité. Mais Melinda n’est qu’un personnage. Et c’est plutôt une armée de psychologues de l’Hôpital général du Lakeshore qui a été dépêchée auprès de la famille et des gens travaillant à la buanderie. Pas de contact salutaire avec l’au-delà, seulement l’assurance qu’une telle situation ne se reproduira plus. Un baume bien mince sur le chagrin de jeunes parents endeuillés.

Le temps de se réveiller
L’hôpital général du Lakeshore a annoncé le 23 janvier qu’il reverrait son code de gestion des dépouilles. Dorénavant, le corps d’un enfant ne pourra plus être déposé directement sur une civière et recouvert d’un drap, Il sera d’abord déposé dans un petit lit à usage unique de la morgue, avant d’être recouvert. De plus, les dépouilles seront systématiquement comptées chaque fois que quelqu’un ouvrira la porte de la morgue, sans tenir compte de la raison ou la durée de la visite.

Il fallait bien qu’un tel événement survienne pour qu’on décide de resserrer les procédures de gestion des corps. Même la directrice du Centre de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île, Suzanne Turmel, les a qualifiées de «protocoles pas assez resserrés» (La Presse, le samedi 24 janvier). Certes, cet événement est unique et inhabituel et, comme le disait si bien une bonne amie à moi, «les ressources dans le milieu de la santé sont si restreintes qu’il n’est pas étonnant que cet aspect-là soit négligé». Cependant, et ne serait-ce que par respect pour les morts et leurs familles endeuillées – Melinda pourrait vous en apprendre long là-dessus – il serait logique, voire indispensable, que les autres hôpitaux du Québec emboîtent le pas, car les normes en vigueur y sont, pour la plupart, encore les mêmes que celles qui régnaient à l’Hôpital général du Lakeshore avant l’incident.

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