Une pilule difficile à avaler

Les super-infirmières veulent venir à la rescousse d’un système de santé malade. À l’aube d’une petite révolution, elles peinent cependant à s’y faire une place.

Les infirmières praticiennes spécialisées (IPS), munies de pouvoirs réservés à la médecine, représentent un grand espoir au sein des hôpitaux congestionnés. Pourtant, l’Université du Québec à Chicoutimi a suspendu les admissions au programme de la maîtrise en sciences infirmières le 10 octobre et un poste d’IPS a été aboli dans la même ville. Ces évènements remettent en question l’intention du gouvernement de Philippe Couillard de créer 2000 postes pour ces nouvelles prati- ciennes d’ici 10 ans.

La présidente de l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec, Chantal Fortin, dénonce le manque d’organisation du gouvernement dans ce dossier. «Il est absolument abominable que nous mettions autant d’énergie et de ressources pour former des IPS, développer des programmes de formation pour obtenir un tel résultat», dénonce-t-elle. Les infirmières praticiennes spécialisées pourraient être la clé des réductions budgétaires envisagées par le gouvernement, selon certains. «Contrairement aux médecins, nous ne sommes pas payées à l’acte, mais à l’heure», pré- cise Karine Therrien, stagiaire à la maîtrise en sciences infirmières.

Une profession en refonte

Lorsqu’elle travaillait comme infirmière clinicienne, la plus grande frustration de Karine Therrien était le manque d’autonomie. «Je devais demander la permission au médecin pour donner deux comprimés d’ibuprofène», se rappelle-t-elle. Les infirmières ne peuvent prescrire que dans le cadre d’ordonnances collectives, qui contiennent plusieurs critères extrêmement précis. Pour remédier à la situation, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) a décidé d’agir en déposant un règlement, approuvé par le Collège des médecins en juin, qui donnerait plus de marge de manœuvre aux infirmières. «Cela permettrait à certaines infirmières de prescrire dans des situations précises, notamment pour les soins de plaie, et dans les domaines de santé public, comme le dépistage des ITSS. Elles pourraient prescrire à la femme enceinte des vitamines», résume la présidente de l’OIIQ, Lucie Tremblay. Ce changement devrait s’opérer dès l’automne 2015.

Il existe une forte demande pour ces super-infirmières, l’accessibilité aux soins de santé étant très difficile pour une partie de la population. «Un Québécois sur quatre n’a pas accès à un médecin de famille», soutient Lucie Tremblay. Le vieillissement de la population rend le problème encore plus criant. «Cinquante pour- cent de la population âgée de 12 ans et plus au Québec souffre d’une maladie chronique», note-t-elle. Les IPS possèdent plus de pouvoirs que les infirmières cliniciennes, qui doivent en général attendre l’approbation d’un médecin pour prescrire ou effectuer certains traitements. «Ce n’est pas compliqué de soigner une otite. Les gens attendent énormément pour des problèmes de santé relativement simples», explique Karine Therrien.

La solution à ce problème réside, selon Lucie Tremblay, dans une approche communautaire des soins de santé. «Un CSSS dans Chaudières- Appalaches a commencé à prendre en charge les patients avec une maladie chronique. Cela a résulté en une baisse de 40 à 50% des visites à l’urgence», note-t- elle. Le fait d’implanter des IPS dans les cliniques contribuera fortement à désengorger les hôpitaux, pense- t-elle. «C’est franchement plus agréable d’aller voir l’infirmière praticienne à la clinique d’à côté pour un problème mineur que d’aller à l’urgence», remarque la présidente. Un changement de mentalité s’opère également quant au rôle du médecin. «Avons-nous les moyens, comme société, de nous payer des soins santé exclusivement médicaux ? Devons-nous nous demander, plutôt, si nous ne pourrions pas avoir des soins de qualité avec d’autres types de professionnels?» se questionne Chantal Fortin.

Plusieurs voient l’arrivée des IPS d’un bon oeil. «Quand elles seront implantées, ça va nous donner un coup de main. Je vois ça comme un partenariat», explique l’infirmière clinicienne, Maude Dumas. Même si la relation avec les médecins et les infirmières est généralement excellente, l’arrivée des IPS cause quelques frictions. «Il y a, et aura toujours, des éléments d’une profession qui refuseront les changements», constate Chantal Fortin. Karine Therrien a réussi à se trouver un stage de maîtrise dans une clinique de Drummondville. Plusieurs étudiants qui désirent devenir praticiens n’ont pas cette chance, le stage étant pourtant nécessaire à leur formation. «L’an passé, à Montréal, il y avait plus d’une dizaine d’étudiants qui ne se trouvaient pas de stage pour l’hiver», se rappelle-t-elle. Les médecins sont souvent débordés avec les résidents et les IPS diplômées ne sont pas payées pour prendre en charge des stagiaires. «Le médecin reçoit une prime lorsqu’il prend en charge des résidents. Une stagiaire crée une surcharge de travail pour l’infirmière praticienne, qui ne reçoit aucune compensation», déplore l’infirmière. Plusieurs aspects du métier sont donc à considérer avant d’implanter un nouveau mode de fonctionnement en toute harmonie dans les hôpitaux.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *