Intégration improvisée

À la ligue d’improvisation du programme UQAM-MICC, des nouveaux arrivants de toutes origines apprivoisent le français. Au fil des interactions spontanées, c’est aussi à l’environnement québécois qu’ils s’acclimatent.

Le sifflet de l’arbitre retentit. Devant leurs confrères d’origines variées, Paola Vergara Rincon et les autres joueurs de l’équipe des bleus se creusent les méninges pour mettre en scène une improvisation comparée de deux minutes sous le thème «se bourrer la fraise». Ce qui peut s’apparenter à un simple exercice de créativité représente un défi de taille pour des immigrants vivant au Québec depuis moins d’un an. «C’est une activité qui oblige chaque joueur à penser vite en français. Il y a beaucoup d’anxiété parce qu’on ne sait pas comment on va jouer», confie la jeune colombienne de 34 ans, installée au Québec depuis six mois.

L’activité d’improvisation emprunte au concept original ses principaux règlements: deux équipes de six joueurs s’affichant comme rouges ou bleus, un capitaine, un entraîneur, un public votant et un arbitre incarné par le créateur de la ligue, François Gilbert. Les thèmes sont inspirés de la vie au Québec et permettent aux étudiants d’approfondir leur connaissance du français et de la province. Après trois matchs interclasses lors desquels ils se donnent la réplique, un match des étoiles rassemble les plus doués devant un public d’environ 200 personnes. Il s’agit d’une activité obligatoire pour les groupes les plus avancés.

La Ligue d’improvisation de l’UQAM-MICC (LIUM), sur pied depuis l’automne 2011, s’inscrit dans le programme de francisation à temps complet issu du partenariat entre l’Université du Québec à Montréal et le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC). L’objectif de l’activité est de permettre d’employer le contenu enseigné lors des cours de français dans un contexte informel et ludique. «Dans le cadre d’un cours, on est dans une forme de spontanéité très limitée, mais dans la vie de tous les jours, les gens peuvent t’aborder sur quelque chose pour lequel tu ne t’es pas préparé la veille en faisant un devoir, explique la coordonnatrice du programme, Marguerite Hardy. Je trouve que la LIUM est un espace qui permet de mettre cet aspect-là de l’interaction orale en action.» Elle soutient que de cette façon, les étudiants s’approprient le français, qui devient alors de moins en moins un «objet scolaire» réservé à la grammaire ou la conjugaison pendant les heures de cours, mais bien un outil social de leur quotidien.

Selon le responsable de l’intégration professionnelle du programme, Robert Mathe, l’improvisation force les étudiants à livrer un message en français même s’ils font des erreurs, ce qui valorise leur estime de soi. Il affirme que cet état d’esprit peut être facilement transférable dans un contexte d’entrevue d’embauche et, plus tard, en situation d’emploi. «Si, en entrevue, on sent que les étudiants ne s’arrêtent pas au fait qu’ils ne maîtrisent pas complètement la langue, pour moi, c’est la meilleure attitude, croit-il. On peut en déduire que, quand ils font une erreur dans l’exécution de leurs tâches, ils vont avoir la même attitude.»

Briser l’isolement

Oscar Orlando Martinez Villasana, 35 ans, a quitté le Mexique pour le Québec en 2012 et travaille présentement dans le domaine du tourisme. Il a été membre de la LIUM à l’automne 2012 et souligne l’importance que la ligue a eue dans son intégration. «Quand on arrive ici, on est seul, et la première chose à faire, c’est de rencontrer des gens. La LIUM est une bonne occasion pour cela», se souvient-il. Il aurait aimé y côtoyer plus de francophones afin de se familiariser davantage avec la culture et l’accent québécois.

Le passage des étudiants à la LIUM demeure tout de même assez bref, généralement une seule session. «J’ai l’impression que ça fait juste commencer et que tout ça devrait et pourrait prendre de plus en plus d’ampleur», affirme François Gilbert, créateur et animateur de la LIUM, et membre de la Ligue d’improvisation montréalaise. Son rêve serait d’instaurer l’activité dans d’autres écoles de francisation afin qu’aient lieu des matchs interécoles.

Au coup de sifflet final, Paola Vergara Rincon affiche un grand sourire. Elle est satisfaite. «Pour moi, c’était un très bon exercice. Je suis une personne timide, mais quand je suis dans une situation comme ça, j’aime bien jouer», conclut-elle fièrement. Tout à l’heure, elle ira sans doute «se bourrer la fraise» avec ses amis pour célébrer le succès de leur premier match.

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