Un fardeau qui pèse lourd

Parmi les 250 000 immigrants qui mettent pied à terre au Canada chaque année, plus de 4000 d’entre eux sont testés séropositifs. Considérés comme un potentiel fardeau financier et dépourvus d’aide juridique, les immigrants porteurs du VIH peuvent difficilement rêver d’un futur sur leur terre d’accueil. 

Henry* est un immigrant français dans la trentaine. Il vit avec le VIH depuis deux ans. «À cause de la maladie, mes rêves d’enfant ont été anéantis. Au Canada, mes chances d’immigrer ne sont pas très élevées, ne seraitce que parce que j’ai le VIH, même si je l’ai contracté ici», lâche-t-il. Comme il est séropositif, ses probabilités d’obtenir sa résidence permanente sont minces, tout comme les chances de trouver un avocat qui voudra bien défendre sa cause.

Le plus grand problème confronté par les gens vivant dans la même situation que lui réside dans la rareté des avocats prêts à soutenir la demande de résidence permanente. Le jeune professionnel en a contacté une trentaine, mais le rejet de sa demande était systématique. «La difficulté relève davantage du nombre très limité d’avocats qui maîtrisent à la fois le droit de l’immigration et le droit des personnes vivant avec le VIH», affirme de son côté Bastien Lamontagne, coordonnateur des services à la Maison Plein Cœur, un organisme communautaire venant en aide aux gens vivant avec le VIH-SIDA.

Selon les estimations d’Immigration Canada, le coût normal des frais de santé d’un Canadien est de 4806$ annuellement. Lorsqu’un résident dépasse ces coûts, l’État le considère comme un fardeau qualifié «d’excessif». «Dans le cas d’un refus à la résidence permanente, ce n’est pas le VIH qui pose problème, mais les conditions associées au virus, soit les médicaments», soutient l’avocat en droit de l’immigration, Me Hugues Langlais.

Henry est considéré par la loi comme constituant un «fardeau excessif» en termes de coûts pour la société. La facture de ses médicaments, qui s’élève à 2000$ par mois, est actuellement remboursée par les assurances de son employeur. Henry vit donc depuis deux ans sans l’aide de la Régie de l’assurance maladie du Québec. Les époux et les conjoints de faits de citoyens canadiens, ainsi que les réfugiés sont toutefois des cas où la séropositivité ne représente plus un obstacle à l’acceptation de la demande. Ces immigrants sont ainsi exemptés des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et peuvent être reçus au pays sans problème.

Depuis le 31 décembre 2009, à la suite d’un jugement de la Cour fédérale, le gouvernement a l’obligation d’étudier la possibilité qu’une personne puisse subvenir à ses propres besoins, soit au travers d’une assurance privée ou d’une assurance à l’extérieur du pays. Les actifs à l’arrivée, et accumulés avec le temps, ainsi que le travail et le salaire sont des éléments pris en compte. Du côté d’Immigration Canada, on affirme étudier tous les dossiers. «Nous ne pourrions jamais dire à quelqu’un: “nous avons accepté tant de gens avec un cancer, donc on ne pourra pas vous accepter” ce serait discriminatoire», indique le représentant gouvernemental joint au téléphone. Il assure également que le choix des immigrants se fait sur une base individuelle. Depuis 2002, un test de dépistage du VIH est systématiquement pratiqué sur tous les nouveaux arrivants. La pratique est devenue courante au Canada, mais ne s’exerce toujours pas en France ou dans d’autres pays occidentaux. Aucun autre test n’est effectué sur la santé des requérants. «Dans l’esprit des gens, le VIH est lié à la peur de la transmission. Ainsi, un dépistage systématique de tous les immigrants est effectué», ajoute l’avocate chez COCQ-SIDA, Claude Longpré-Poirier.

Selon Me Hugues Langlais, il y a toujours place à l’amélioration. «La question d’accepter ou pas des immigrants qui représentent des “fardeaux”se résume à des questions financières, à savoir si on paie déjà trop d’impôts», conclut le spécialiste en immigration. Pour Immigration Canada, la seule considération étudiée est économique. «Ce que le gouvernement étudie, c’est l’analyse du coût moyen représenté par un immigrant.

Finalement, c’est un choix de société que nous avons à faire», évoque la responsable en droits chez COCQ-SIDA. «Au sein du programme d’immigration canadien, le VIH- SIDA est suivi, surveillé et dépisté comme nulle autre maladie. Le Canada exclut de façon officielle les individus atteints du VIH à l’exception des réfugiés et des conjoints qui échappent à la règle. À plusieurs égards, cette situation est problématique, entre autres parce qu’on n’effectue pas de dépistage du cancer, des maladies cardiaques et du diabète pour des fins d’immigration» tranche l’auteure d’une thèse sur l’immigration et le VIH, Laura Bisaillon.

Henry travaille au sein d’une grande entreprise et gagne un bon salaire. Un mariage avec son conjoint pourrait augmenter ses chances de réussite, mais il n’aurait pas l’impression de jouer franc-jeu. Ses yeux s’illuminent lorsqu’il mentionne le jour où il obtiendra sa citoyenneté, tant le processus est ardu. «Du côté humain, je serai très fier parce que le Canada m’aura accepté comme je suis. Dans le cas échéant, je n’ai pas envie de rester dans un pays qui ne veut pas de moi, donc je partirai.»

Crédit photo : Jennie Faber

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