Jeter sa calculette à la poubelle

Les maîtres du chiffrier sortent leur calculette. C’est l’heure des grands décomptes. En cette journée frette comme le petit Jésus de Nazareth, ils enchainent mémoires, témoignages d’experts et tableaux Excel à vive allure. Au menu des discussions: les règles entourant l’accord de la rési- dence permanente dans notre beau-grand-glacial-parfois- incompréhensible pays.

Le défi n’est pas simple aujourd’hui. Ils doivent établir la limite financière maximale que le gouvernement s’engage à payer pour soigner un immigrant qui souhaite faire du Canada sa terre d’accueil. La question inévitable, et un brin gênante, est alors lancée en l’air. «Combien la société est-elle prête à débourser pour soigner un immigrant ?» La réponse: 4806$ par année, pas une cenne de plus les amis, c’est la calculette qui le dit.

Si certains croient que le Canada est l’endroit parfait pour y déposer candidement ses valises, en regardant de plus près la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, on constate que notre hospitalité a bel et bien un prix.

La loi indique que pour des motifs sanitaires, si l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un «fardeau excessif» pour les services sociaux ou de santé, le gouvernement se réserve le droit de lui interdire de rester sur le territoire canadien. Quels mots détestables: fardeau excessif. Ça me fait mal aux oreilles.

Il y a de ça deux ans, la famille Barlagne avait échappé de peu à l’expulsion en raison de cette disposition légale. Leur fille de huit ans, Rachel, atteinte de la paralysie cérébrale était considérée comme un fardeau pour les services sociaux. La famille, établie au Québec depuis plusieurs années, devait faire ses valises et retourner en France. La facture des soins était trop salée au goût du gouvernement. C’est seulement à la suite d’une entente de dernière minute entre Québec et Ottawa que la famille a pu rester au Canada.

Henry (lire ici) fait partie de ceux encore confrontés à ce dilemme. Cet immigrant français, homosexuel et séropositif, souhaite obtenir sa résidence permanente, mais ses médicaments coûtent une petite for- tune. Même si l’assurance de son employeur paie les frais, le simple fait de perdre son emploi représenterait une charge non négligeable pour le système de santé. Pour ces raisons, ses chances d’obtenir sa résidence permanente s’amincissent. Sa situation prouve que le problème a été mis de côté, plutôt que d’être résolu.

Le non-sens saute au visage. L’homme a un bon emploi, il est éduqué et gagne son pain convenablement. Le top du top de l’immigrant. Pourtant, les chances de voir sa demande de résidence refusée sont élevées, même pas moyen de trouver un avocat pour l’aider dans sa démarche. Avec sa calculette, le gouvernement croit trouver bien des réponses, mais la réalité en elle-même est bien plus complexe qu’une simple question mathématique. Instaurer une limite afin d’éviter les abus, mais utiliser cette limite sans aucun jugement, eh bien à mon avis, ça rend le tout un peu caduc.

Louis-Philippe Bourdeau

Chef de section Société

societe.campus@uqam.ca

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