Crédits à l’affiche

Initiées il y a quelques années, les publicités dédiées aux cours gagnent de plus en plus d’adeptes dans le corps enseignant de l’UQAM. Avec responsabilités et salaires augmentés à la clé, les chargés de cours n’hésitent plus à placarder les murs de leurs affiches. 

«L’onirique, l’insolite, l’érotique, l’angoisse, tel est le Film Noir», indiquent des affiches placardées sur les babillards de l’UQAM depuis le mois de novembre. Elles annoncent les grandes lignes de la pro- chaine charge de cours de Stéphane Leclerc, Le Film Noir: intrigue, corruption et anxiété. Grâce à ces publicités, le nombre d’étudiants a bondi dans les classes du chargé de cours. Quoiqu’encore marginale, la pratique est garante de classes plus nombreuses et d’un chèque de paie gonflé pour ceux qui veulent bien s’y adonner.

Dans les deux cours qu’il offre cette session, Stéphane Leclerc dépasse le seuil de rentabilité de l‘UQAM fixé à 46 étudiants. Sa leçon sur le film noir accueille quelque 120 étudiants et celui sur le cinéma nippon, Le cinéma d’animation et d’horreur japonais, a attiré 70 passionnés. «J’essaie de m’assurer que la population étudiante soit au courant des cours “porte ouverte” que j’offre», explique-t-il. Vers la fin de chaque trimestre, ce chargé de cours fait la promotion des classes qu’il offrira à la session suivante afin de gonfler ses groupes au maximum. «La publicité est essentielle pour assurer l’inscription à mes cours. Plusieurs étudiants me disent qu’ils s’y sont inscrits en voyant une des affiches posées, soutient ce chargé de cours de l’École des langues et du Département d’études littéraires. Je voudrais aller plus loin et utiliser le rétroprojecteur du pavillon Judith-Jasmin pour présenter mes cours, mais on me l’a refusé», ajoute-t-il.

Le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM (SCCUQ) s’inquiète de l’arrivée de ce type de publicités. «On peut comprendre lorsque ça vise davantage les étudiants libres, mais il ne faudrait pas que le phénomène prenne de l’ampleur parce que ça pourrait mener à une compétition entre chargés de cours», avance le vice-président à l’information du SCCUQ, Richard Bousquet. Ancien professeur de l’École des médias, Jean-Pierre Masse croit plutôt que les affiches servent seulement de rappel lors des périodes d’inscription. «Elles permettent de mettre plus d’étudiants au courant, mais ça n’en amène pas plus. Les personnes qui s’ajoutent le font suite aux recommandations d’autres qui ont suivi le cours», soutient- il. La porte-parole de l’UQAM, Jenny Desrochers, insiste d’ailleurs sur la marginalité du phénomène. «Ce n’est pas une pratique que l’on voit. Ce sont des cas isolés», ajoute-t-elle.

Stéphane Leclerc fait l’autopromotion de ses cours depuis son arrivée à l’UQAM en 1998. «La pratique est loin d’être nouvelle. Avant moi, d’autres professeurs utilisaient les mêmes procédés», assure-t-il. Un des instigateurs, Jean-Pierre Masse, imprimait une quinzaine d’affiches par année pour promouvoir ses cours de cinéma documentaire et fictif. Pour fêter le centenaire du septième art, les publicités ont fait leur apparition à l’UQAM en 1995. Le cours donné par Jean- Pierre Masse avait alors attiré plus de 220 étudiants. «Peu de personnes utilisent du matériel publicitaire à l’UQAM, observe Stéphane Leclerc. Je considère ça comme de l’information culturelle, et on ne se cachera pas que l’université c’est devenu une grosse industrie.»

L’École des langues utilise la publicité en grande quantité pour les classes offertes puisque les cours atteignent rarement le seuil de rentabilité de l’UQAM, selon Stéphane Leclerc. «Plusieurs cours, souvent optionnels et ouverts à tous les étudiants, sont publicisés à l’initiative personnelle des chargés des cours», affirme la directrice du regroupement linguistique de l’UQAM, Britta Starcke. L’École des langues a intensifié la pratique par l’envoi de courriels, l’organisation de soirées et la promotion des cours plus spécialisés depuis les trois dernières années. «Dans le cas de l’École des langues, on est compréhensif en regard des publicités. Depuis quelques années, le nombre d’inscriptions diminue», remarque Richard Bousquet.

Une fois le seuil des 120 étudiants dépassé, davantage d’argent est versé pour la correction, ce qui fait plus de contrats pour les étudiants, aux dires de Stéphane Leclerc. Selon l’échelle salariale en vigueur depuis le 1er janvier 2014, un chargé de cours du premier échelon salarial obtiendra 7 722,38$ pour un groupe de moins de 120 étudiants. Une fois ce cap franchi, le salaire par charge de cours de trois crédits double pour passer à 15 444,76$. «Nous avons davantage de responsabilités avec des groupes plus gros», explique Stéphane Leclerc.

Avec des classes de plus de 150 étudiants, Jean-Pierre Masse admet que la dynamique des cours change, et pas toujours pour le mieux. «La discipline devient très importante. Je ne peux pas prendre beaucoup de questions et les rares étudiants qui posent des questions ordinaires agacent la classe», déclare-t-il. Pour Stéphane Leclerc, les cours à gros gabarit permettent de compenser les cours plus techniques qui composent souvent avec un nombre d’étudiants inférieur au seuil de rentabilité. «On fait des publicités pour des cours qui attiraient déjà beaucoup de personnes même sans les publicités, avance-t-il. Je crois aussi avoir une bonne réputation auprès des étudiants, ce qui permet d’en attirer davantage.»

Aux frais des départements

Les publicités sont payées à même les budgets des départements, affirme Britta Starcke. «Pour chaque cours, les frais publicitaires s’élèvent à 80$ pour une soixantaine d’affiches dans l’UQAM», estime Stéphane Leclerc. Dans de rares cas, les fonds proviennent du porte-feuille des chargés de cours. Retraité depuis cinq ans, Jean-Pierre Masse a assumé de sa poche les frais des publicités qui s’élevaient entre 10 à 15$ par année.

Déjà, l’UQAM a retiré la plupart des affiches publicitaires des pavillons. D’ici à la prochaine période d’inscription, d’autres publicités feront leur apparition. L’École des langues compte notamment promouvoir les cours pour débutants, jusqu’alors exclus de la campagne. «Si le phénomène quitte la marginalité, la diversité des cours est menacée. Les chargés des cours et les étudiants seront les grands perdants», conclut Richard Bousquet.

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