Diviser pour mieux régner

Le printemps est revenu et l’UQAM revit. Comme chaque année au moment où le soleil fait son apparition, pancartes, banderoles et piquets de grève poussent autour de l’Université telles les premières fleurs des champs. Ragaillardis par la saison nouvelle, les professeurs ont reconduit la grève avec plus de ferveur qu’au premier jour.

Quatre-vingt-trois pour cent des membres du Syndicat des professeurs de l’UQAM (SPUQ), réunis en assemblée générale le 20 mars dernier, ont voté en faveur du maintien de la grève jusqu’au 27 mars. À croire qu’ils y prennent goût. Après tout, à les voir ainsi réunis à chanter en chœur, foulard orange autour du cou, un hot-dog dans une main et une affiche dans l’autre, la peau dorée par le soleil, on croirait presque assister à un jamboree scout.
D’ailleurs, si l’appétit vient en mangeant, le piquetage vient en piquetant. D’aucuns reprochaient la mollesse des syndiqués à leurs premiers jours de débrayage en février. Certains ont été plutôt surpris, la semaine dernière, de se buter aux grévistes zélés qui assiégeaient l’UQAM avec plus de ferveur que les émeutiers de la Bastille. Une étudiante a même porté plainte contre l’un d’eux pour voies de fait .
L’enthousiasme des syndiqués leur aura d’ailleurs permis de grappiller l’appui d’une partie des uqamiens portés sur le piquet. Le Syndicat des employés de l’UQAM (SEUQAM) et celui des étudiants employés de l’UQAM (SÉtuE), eux aussi en négociations avec l’Université, ont fait front commun avec les professeurs lors de la manifestation du 19 mars. Ils ont été rejoints par les membres de l’Association facultaire des étudiants en arts de l’UQAM, de l’Association facultaire étudiante des sciences humaines et de l’Association étudiante du module de sciences politiques, ceux pour qui la grève est comme l’amour et l’eau fraîche.
 
Réunis en assemblée générale le lendemain, les professeurs ont non seulement reconduit la grève, mais ont refusé à 90% la dernière offre patronale, qui leur proposait une augmentation salariale de 4% et l’embauche de 25 nouveaux professeurs. L’offre, qualifiée de «finale» par l’administration, était bien en dessous des exigences des syndiqués. Le SPUQ réclame 11,6% d’augmentation salariale sur trois ans et la création de 300 nouveaux postes. La proposition de l’UQAM est même largement insuffisante pour rétablir l’écart entre ses professeurs et ceux des autres universités, comme le démontre l’étude d’étalonnage de la firme AON. Le document, déposé le 10 mars, dévoile que les professeurs de l’UQAM ont un salaire de 10% inférieur à ceux des autres universités de la province. Avec un appui presque unanime de ses membres et une communauté semblant en sa faveur, le SPUQ avait toutes les raisons de poursuivre les moyens de pression. Trop même…
L’administration, qui avait déposé une offre dérisoire, ne pouvait espérer qu’elle soit acceptée. C’est presque dire qu’elle souhaitait la voir rejetée, et que les professeurs poursuivent leur piquetage. Or, comme elle l’a fait savoir dans un communiqué, «la Direction prendra toutes les mesures nécessaires afin que les étudiants et le personnel de l’UQAM puissent accéder en toute sécurité à leur lieu d’étude et de travail».
Retour en arrière: que s’est-il passé la dernière fois que les activités de l’UQAM ont été perturbées par une grève embryonnaire, mais un peu trop dérangeante? Je vous le donne en mille: une injonction. Une injonction qui interdira aux syndiqués du SPUQ de nuire à la tenue des cours. Ils devront alors s’en tenir à jouer tranquillement du sifflet pendant que la horde d’étudiants et de chargés de cours passera les portes de l’Université. Une injonction qui permettra à l’UQAM de poursuivre ses activités quasi normalement. Le SPUQ a bien raison, l’Université manque cruellement de professeurs, si bien que la majorité des cours continueront d’être donnés. Nombre d’uqamiens, dont je suis, n’auront même aucune classe annulée.
L’injonction, comme ce fut le cas chez les étudiants l’an dernier, divisera le syndicat en deux camps: ceux qui sont prêts à aller en prison pour la cause et ceux qui ne le sont pas. Je vous parie que le second camp l’emportera. Pour les autres, il suffira que le mouvement s’épuise, faute de soutien. Oubliez l’appui des étudiants, ils sont déjà divisés au plus fort de la grève! Ils sont d’ailleurs bien trop préoccupés par leurs emplois d’été. L’administration n’aura alors qu’à faire traîner les négociations entre le SEUQAM et le SÉtuE, comme elle le fait actuellement. Lorsque les profs auront baissé les bras, ce sera autour des deux autres syndicats de manifester, mais ils auront eu un avant-goût amer de l’échec qui les attend.

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