Pourriel par télécopieur
Grâce à lui, les télévendeurs s’en mettent plein les poches. À cause de lui, les commis de bureau s’arrachent les cheveux. Le pourriel est au télécopieur ce qu’est le moustique au campeur: une nuisance de première!
Au fond d’un local gris et poussiéreux, un antique fax se met en branle. Le commis jette un coup d’œil au document reçu. Misère! Une pub lui offre de retrouver la taille et la chevelure de ses vingt ans. Pour plusieurs utilisateurs du télécopieur, la quantité de pourriels reçus donne envie de jeter l’appareil au bout de leurs bras. Pour d’autres, la loi devrait être plus mordante envers ce type de publicité.
En plus d’être dérangeant, le pourriel a le don de heurter la fibre verte de certains. «Au début, je distribuais à mes collègues des bloc-notes avec les pourriels reçus, raconte Charles Plamondon Dubois, jeune travailleur dans une entreprise d’assurances collectives. Je me suis rendu compte que ça n’allait pas assez vite. J’en ai conclu que nous recevions trop de publicités par fax, ou alors que je ne prenais pas assez de notes!» Il avance que son entreprise reçoit environ dix offres de télémarketing par jour, et ce, malgré les filtres anti-pourriels installés sur leur télécopieur. Sur une base annuelle, cela représente plus de 3600 messages publicitaires non sollicités!
Selon l’employé, la publicité est ciblée au point d’être confondue avec des documents officiels. «Lorsque nous trions les copies reçus par fax, nous devons nous assurer que les informations soient pertinentes, ce qui représente une perte de temps pour l’entreprise.»
Traquer les télévendeurs
Le gaspillage d’encre et l’acharnement de certains publicitaires ont eu raison de la patience de Steve Kirsch, un Américain à l’origine de junkfax.org, un site Internet dédié à la lutte contre le marketing par télécopieur. L’équipe de Kirsch prodigue des conseils aux propriétaires de fax qui en ont assez de cette publicité envahissante. «Plusieurs gens considèrent que le junkfax est un problème sérieux et nous sommes là pour leur donner un coup de main. Chaque mois, nous recevons une douzaine de demandes d’aide», mentionne-t-il par courriel.
Bien qu’aux États-Unis, la loi interdise aux compagnies d’envoyer des publicités non sollicitées, plusieurs n’hésitent pas à bombarder les télécopieurs d’offres de toutes sortes. «Les entreprises malhonnêtes font plus d’argent en envoyant des fax illégaux qu’elles n’en perdent en frais de cour lorsqu’elles sont traînées en justice, explique Steve Kirsch. De toute façon, elles ne paient que rarement leurs amendes.» De son avis, les propriétaires de télécopieurs qui se sentent lésés par les télévendeurs peuvent aisément gagner leur cause en justice s’ils montent un dossier solide et rigoureux. «Moi-même, j’ai collecté 250 000 dollars en multipliant les poursuites contre les professionnels du pourriel, à raison de 1500 $ par publicité reçue», affirme Steve Kirsch.
L’avocat Dominic Jaar, expert en technologies juridiques, voit deux recours possibles pour les Québécois qui souhaitent interpeller les tribunaux pour une affaire de télémarketing par fax: au civil, pour les dommages causés par la perte de temps et le gaspillage de matériel, ainsi qu’au criminel, pour atteinte au droit à la vie privée. «Dans la seconde éventualité, le plaignant devra démontrer qu’il était harcelé par le télévendeur malgré plusieurs tentatives infructueuses pour que cela cesse», précise Dominic Jaar. Au Québec, aucune poursuite de ce genre n’a été intentée à ce jour.
Dans l’ensemble du Canada, les personnes qui souhaitent ne plus recevoir les offres «alléchantes» des télévendeurs peuvent s’inscrire à la Liste nationale de numéros de télécommunication exclus (LNNTE) qui s’étend également au fax. Détail important, les règlements de la LNNTE ne s’appliquent pas aux offres publicitaires adressées à des entreprises. Vérification faite auprès du CRTC, un employé d’une compagnie peut néanmoins adresser un message par téléphone ou par fax au télévendeur pour lui demander de l’exclure de sa propre liste d’appels. Si, après 31 jours, les sollicitations du télévendeur persistent, l’employé peut porter plainte au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Depuis la création du LNNTE, en 2007, trois télévendeurs ont été mis à l’amende, totalisant une somme de 24 000 $. D’autres enquêtes sont en cours.
Les utilisateurs du télécopieur peuvent espérer des jours meilleurs. Le Canada est sur le point de rejoindre les autres pays du G8 dans la lutte aux pourriels avec le projet de Loi concernant les messages électroniques commerciaux, qui accorderait des pouvoirs accrus au CRTC. «Cette proposition vise particulièrement le spam envoyé par courriel, commente Dominic Jaar, mais les technologies se croisent tellement aujourd’hui qu’on ne peut qu’imaginer qu’elle s’appliquera aussi au télémarketing par fax.»
D’ici l’adoption de la loi, les utilisateurs de fax devront faire preuve de vigilance et surtout s’armer de patience. «Le pourriel par télécopieur me fait penser à un cadre de porte dont un bout dépasse, compare Charles Plamondon Dubois. En soi, ce n’est pas la fin du monde, mais tu finis toujours par te cogner le gros orteil dessus!»
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