Contre vents et marées

Portrait d’auberges de jeunesse en région

Après avoir surmonté l’exode rural et les conflits municipaux, plusieurs auberges de jeunesse en région se sont heurtées à l’épreuve assassine du temps. Montréal Campus vous présente trois résistantes dont les portes sont toujours grandes ouvertes.

Photo Marie-Lou Crète

Qu’ont en commun les auberges de jeunesse des villages de Mont-Saint-Pierre, Saint-Omer et Natashquan? Personne ne peut y séjourner, puisqu’elles ont toutes fermé leurs portes. Mais que la jeunesse mouvante se rassure, Montréal Campus a déniché en région quelques gîtes de routards qui refusent d’abdiquer.

Premier arrêt: le Balcon Vert. Installé sur un plateau qui surplombe Baie-Saint-Paul, dans Charlevoix, et ceinturé d’une végétation abondante, le site accueille des voyageurs qui viennent et reviennent. Autour du feu, ils sont vieux et jeunes, riches et pauvres, mais ils chantent les mêmes airs en esquissant un sourire béat. Et entre deux chansons, quand le soleil disparaît, ils observent silencieusement la ville s’illuminer.

Le Balcon Vert se donne pour mission de démocratiser ce havre de beauté qu’est Baie-Saint-Paul, choisie capitale culturelle du Canada en 2007. «Nous voulons continuer à offrir un hébergement à prix modique pour accueillir un autre genre de clientèle, explique Mario Lemerise, gestionnaire de l’organisme à but non lucratif (OBNL). Ailleurs à Baie-Saint-Paul, se loger est très dispendieux, voire inaccessible pour plusieurs.»  Il se réjouit tout de même que la ville de 7290 âmes soit le pivot central d’un énorme projet de développement récréotouristique, évalué à 230 millions de dollars et majoritairement financé par Daniel Gauthier, l’ex-PDG du cirque du soleil. Les travaux, qui comprennent l’installation d’une navette ferroviaire et l’élargissement du domaine skiable du Massif de Petite-Rivière-Saint-François, attireront de nombreux touristes à l’échelle internationale. «Nos clients pourront profiter de nouveaux services et de nouvelles activités, sans dépenser davantage, souligne Mario Lemerise. C’est une très bonne nouvelle.» Tout va pour le mieux, donc? Pas tout à fait, corrige-t-il. «Le site coûte de plus en plus cher à exploiter. Les taxes municipales augmentent et les permis d’exploitation se multiplient. Nous devons préconiser une gestion très serrée pour dégager de petits profits et ainsi les réinvestir.»

L’Auberge internationale de Tadoussac

Montréal Campus poursuit sa route vers le Nord et s’arrête une heure plus tard à l’Auberge de jeunesse de Tadoussac. Tout y a commencé dans le milieu des années 70, lorsque deux jeunes se sont présentés à la porte d’André Tremblay, dans l’espoir de louer une maison qui servirait de refuge pour les globetrotteurs fauchés. «J’étais un des derniers endroits où ils sont venus cogner. Tout le monde dans le coin refusait leur projet, qui était d’ailleurs subventionné par le gouvernement pour venir en aide aux régions. Pour l’aventure, par esprit de contradiction, mais aussi pour obtenir du pot plus facilement, j’ai accepté.» Une initiative qui a mis en rogne tout le voisinage, allergique au butinage des Flower Children. Effluves de marijuana, pilosité débordante, mœurs aussi légères que les robes des jeunes filles, flot d’alcool: l’Auberge de jeunesse de Tadoussac voyait renaître la bohème en ses murs. Longtemps, par les soirs bleus d’été, la jeunesse s’est donné rendez-vous sur les berges pour contempler les mammifères marins. «Les baleines faisaient partie de notre quotidien, c’était notre trip. Maintenant, ce n’est plus qu’une industrie», regrette l’aubergiste. De ces ballades insouciantes sur la plage, il ne reste plus que les empreintes de la nostalgie. Le cœur de Tadoussac s’est peu à peu «gentrifié», pompé par les intérêts étrangers et le développement récréotouristique. L’auberge, complètement reconstruite en 1994, est aujourd’hui une résistante, manifestation anachronique d’une époque trépassée. En plus d’accueillir une clientèle qui ne ressemble en rien à celle des hébergements connexes, la pression est forte pour que le lieu se conforme aux orientations touristiques de la région. «Chaque année, je reçois au moins une ou deux offres astronomiques pour vendre, raconte André Tremblay. Des sommes que je n’aurais jamais pu imaginer.» Après s’être occupé pendant trente-cinq ans de l’OBNL, il pourrait bientôt tourner la page d’un livre dense et mirobolant. Mais pas question que d’éventuels acquéreurs transforment les quelque 60 lits en pataugeoire pour serviettes pliées en forme de canard, ni que des automobiles de luxe monopolisent le stationnement. «Cet endroit est unique depuis 35 ans. Si je vends, ce sera avec l’assurance que l’ambiance qui s’est créée ici se poursuive», assure-t-il fièrement, alors que Montréal Campus doit repartir s’il ne veut pas manquer le traversier qui l’attend à Saint-Simon.

Le Sea Shack

À environ 345 kilomètres de Tadoussac, de l’autre côté du fleuve, de nombreux routards débarquent à l’Auberge Festive Sea Shack, en Gaspésie. Ils ont un pouce levé comme combustible et un sac à dos pour seule valise. En sourdine, la houle des vagues qui frappent la terre et le chant des guitares pas toujours accordées leur souhaitent la bienvenue. Là où la mer est encore un fleuve, à Saint-Anne-des-Monts exactement, l’esprit de la Beat Generation se pérennise depuis 2005, neuf mois par année. Mais pas question de bouder les vertus de la modernité, car dès que le soleil reprend ses derniers rayons, la console de son, nichée dans un bar aux parures tropicales, disperse ses hits sur tout le site. «Nous avons inventé l’appellation Auberge festive. Auberge de jeunesse fait davantage référence à une catégorie d’âge, tandis que nous cherchions plutôt des visiteurs avec un état d’esprit et une propension à la fête», explique Alexis Poirier, copropriétaire du site. Quand il nous parle de l’aura presque mythique du Sea Shack, de ces soirées dansantes bondées d’une centaine d’épicuriens, le jeune gestionnaire esquisse un sourire ravi. «Économiquement, ça va très mal dans la région. Le tourisme est en déclin et les habitants de la Haute-Gaspésie ont besoin d’exemples de succès. De voir qu’un projet comme celui-là puisse fonctionner, ça ravive l’espoir.» Surtout que la relève prête à loger les voyageurs pour moins de trente dollars est rare. «Les auberges de jeunesse en région sont peu à peu disparues ou ont changé de vocation pour devenir plus familiales. André Tremblay serait d’accord avec moi, l’ambiance du Sea Shack est comparable à celle de l’Auberge de Tadoussac durant ses belles années.»

Mais ceux qui s’y rendront pour faire le plein d’énergie seront déçus, risquant fort d’être réveillés en pleine nuit par un air de Georges Brassens. Ou tiens, de Richard Desjardins: «As-tu d’besoin d’un cinq étoiles / quand t’en as cinq milliards dans l’ciel?»

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