Le militantisme noir se réinvente

La communauté noire québécoise a changé de visage au fil des ans, tout comme son combat.

« Les jeunes [noir(e)s] qui sont nés ici ont peut-être une autre perspective sur la manière de mener les luttes », souligne l’auteure d’origine haïtienne Marie-Célie Agnant. « Là où moi j’étais en train de réclamer un espace, ils sont maintenant davantage dans le leur », reprend-elle. Installée à Montréal depuis le début des années 70, l’écrivaine remarque que les générations nées au Québec plus récemment sont davantage impliquées dans le militantisme actif que dans son temps. 

« Je suis encore en train de définir moi-même quelle place je prends [dans le militantisme] », explique Roxanne-Myrna Lapierre, étudiante en Communication, politique et société à l’UQAM d’origine burundaise. La jeune femme a grandi en Abitibi-Témiscamingue et estime qu’il manque de diversité ethnique dans cette région.

« Quand je suis arrivée à Montréal, j’ai commencé à réaliser ce que cela signifiait d’être femme afro-descendante. »

– Roxanne-Myrna Lapierre

Elle dit commencer à prendre la pleine mesure de l’importance de ses origines.

Selon elle, militer pour ses droits en tant que personne de couleur est intrinsèquement lié à d’autres formes de luttes. « Que tu milites pour l’environnement, pour des causes féministes, etc. [Ça se rapporte toujours] à la question de ta culture, d’où tu viens et de qui tu as besoin d’être. » Roxanne-Myrna explique notamment que beaucoup d’organismes féministes se joignent à différentes communautés culturelles. 

Lentes réalisations 

« L’intérêt institutionnel et gouvernemental a beaucoup grandi », avance Michael P. Farkas, président de la Table ronde du Mois de l’histoire des Noir(e)s. Selon lui, cet intérêt est différent en fonction de chaque palier gouvernemental étudié. « Le fédéral est déjà engagé dans le multiculturalisme, donc le Québec n’a pas le choix de suivre », argumente-t-il. 

Même si les institutions gouvernementales s’attellent à la tâche et prônent l’inclusion, il y a encore beaucoup de place à l’amélioration et il manque de travailleurs et de travailleuses noir(e)s en leur sein, croit M. Farkas. Il met cependant en lumière les actions menées par de grands groupes. « Air Canada a organisé des ateliers de rapprochement culturel en 2022, et les Canadiens vont nous [la Table ronde] recevoir en loge ce mois-ci », précise-t-il.

La Ligue des Noirs du Québec, fondée en 1969, a publié un rapport mandaté par le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion en 2017 sur la discrimination, le racisme et l’intégration dans la société québécoise. Les grandes lignes de la consultation pointent du doigt un manque de représentativité de la communauté noire dans l’histoire du Québec. Cette absence n’aiderait pas à lutter contre la discrimination raciale au Québec, selon les conclusions de la Ligue des Noirs du Québec. 

« Rien n’est acquis », rappelle Marie-Célie Agnant. « Le militantisme noir au Québec ne lâche pas, mais aurait intérêt à s’unir davantage », renchérit M. Farkas. Pour ce dernier, il y a encore une dichotomie entre le milieu universitaire et les quartiers de la communauté noire qui freine la lutte.

« On aurait intérêt à regarder ce qu’on a en commun plutôt que nos différences. »

Michael P. Farkas

Honorer l’histoire

Sabrina Moisan, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, a rédigé en 2016 un guide destiné au corps professoral québécois afin d’enseigner l’histoire des Noir(e)s au Québec. Arnaud Bessière, aujourd’hui conservateur responsable de la muséologie au Pôle culturel du monastère des Ursulines, a écrit en 2012 La Contribution des Noirs au Québec, Quatre siècles d’une histoire partagée. Pour M. Farkas, il serait nécessaire que les écoles québécoises puissent avoir à leur disposition ce genre d’outils pédagogiques afin d’informer adéquatement sur l’histoire des Noir(e)s.

Il rappelle tout de même que « le Noir ne peut pas demander à avoir une vraie place dans les livres d’histoire avant que les autochtones aient une place aussi ». Roxanne-Myrna Lapierre est aussi sensible aux enjeux des autres groupes peu écoutés : « C’est la même chose pour les communautés autochtones ». De plus en plus, les revendications des militant(e)s sont tournées vers un désir d’égalité sociale, quelle que soit la communauté culturelle concernée. 

Le militantisme noir est toujours en quête de légitimité. « Je refusais de faire des activités pour le Mois de l’histoire des Noirs jusqu’à récemment, car la société éprouve le besoin de mettre une étiquette sur une partie de la population », raconte Mme Agnant. « Je voudrais qu’on reconnaisse mon humanité avant qu’on reconnaisse ma couleur de peau », résume l’auteure.

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