L’autodiagnostic à l’ère des algorithmes

Le phénomène de s’autodiagnostiquer un trouble du neurodéveloppement, notamment ceux du TDAH et de la douance, prend de l’ampleur dû à l’émergence de contenus informatif sur les médias sociaux. Dû à sa rapidité et son aspect économique, certains et certaines le préfèrent à l’avis professionnel.

L’autodiagnostic peut être un soulagement pour les individus qui font face à l’incompréhension et la solitude qu’amène le sentiment de différence, selon Andréane Ringuette, travailleuse sociale en clinique privée. « Ça peut devenir rassurant d’avoir une certaine étiquette », remarque-t-elle.

Cette dernière se sent toutefois mitigée face à ce phénomène. « Ça dépend de la façon dont les gens utilisent l’information présente sur les réseaux », dit Mme Ringuette. Pour elle, le contenu amateur proposé sur les médias sociaux tels que Tik Tok a le potentiel d’être bénéfique s’il est bien utilisé, mais il peut également nuire si on se l’approprie sans avoir un jugement critique face à celui-ci. 

Une alternative accessible

« Obtenir un diagnostic, ça peut prendre des années dans le secteur public au Québec et au privé, ça coûte une fortune, sauf si tu as de bonnes assurances », raconte Sara Gauvin, 19 ans, diagnostiquée pour un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) par un professionnel lorsqu’elle avait neuf ans. Elle s’estime chanceuse d’avoir des parents qui ont eu les moyens de recourir au secteur privé et qui possédaient quelques connaissances de base sur le TDAH.

L’autodiagnostic peut sembler être une alternative pour les personnes qui n’ont pas les moyens ou la possibilité de recourir au diagnostic professionnel. En moyenne, une demande d’évaluation en neuropsychologie au privé peut coûter entre 800 et 3000 $. Cette évaluation est nécessaire à l’obtention d’un diagnostic officiel de TDAH. Les délais d’attente peuvent varier entre deux et huit mois au privé, selon la Dre Elisabeth Perreau-Linck, neuropsychologue au Centre étudiant de soutien à la réussite (CÉSAR) de l’Université de Montréal et à la clinique TDAH du CHU Sainte-Justine.

Des mythes qui persistent

Dre Perreau-Linck souligne que la douance n’est pas un diagnostic, à l’opposé du TDAH et d’autres conditions neuropsychologiques, mais plutôt un mode de fonctionnement. « Quand on parle de haut potentiel intellectuel (HPI), on fait référence à un individu dont le fonctionnement intellectuel est extrêmement élevé », élabore-t-elle. La neuropsychologue explique que l’outil psychométrique d’évaluation, selon certains modèles, demeure le test de quotient intellectuel (QI).

Selon Dre Perreau-Linck, le problème réside dans la généralité des symptômes présentés sur TikTok et les autres plateformes numériques. Ce sont sur celles-ci que se basent certaines personnes pour s’autodiagnostiquer. Ce contenu ne prend pas en compte la complexité de ces troubles psychologiques, explique Mme Ringuette. « Avoir 14 projets en même temps, ne pas être capable de rester assis, se sentir agité, perdre ses clés, ça ne signifie pas qu’on a un TDAH », explique Dre Perreau-Linck, ajoutant « qu’être curieux, avoir un sens de la justice élevé, s’ennuyer à l’école » ne sont pas des caractéristiques de la douance, telles que présentées sur les réseaux sociaux.

Diagnostic et pression de performance

Sara Gauvin se sent privilégiée d’avoir eu l’opportunité de se faire diagnostiquer lorsqu’elle constate ce que vivent certains et certaines de ses ami(e)s qui n’ont pas la même chance. « Il y a beaucoup de critiques envers l’autodiagnostic, qui viennent d’une perspective vraiment privilégiée », selon Sara Gauvin.

« Ce n’est pas tout le monde qui peut avoir un diagnostic, qui ont des parents qui y croient ou qui ont les ressources. » – Sarah Gauvin

À l’aube du 10e anniversaire de son diagnostic, Sara s’est fait réévaluer. « Je ne doute pas de mon diagnostic, mais je voulais une nouvelle perspective en tant qu’adulte », témoigne-t-elle. « Si je n’avais pas été exposée à autant de contenu sur les troubles de santé mentale, je n’aurais probablement pas pensé à me faire évaluer de nouveau », avoue la jeune femme.

Si l’autodiagnostic peut aider à mieux se comprendre, un « faux » constat de douance intellectuelle, par exemple, peut créer de grandes attentes de performance, selon Mme Ringuette. Cette dernière explique qu’il y a ainsi une possibilité que certaines personnes développent de l’anxiété, ce qui peut les mener à abandonner l’école. L’incapacité d’atteindre le niveau demandé peut également nuire à l’estime personnelle. 

« Nous sommes dans une société individualiste qui vise la performance et l’efficacité », déclare Dre Perreau-Linck. Selon elle, un mauvais constat de douance peut être néfaste pour les individus qui intériorisent ce besoin d’être exceptionnel, plus spécifiquement sur la plan de la construction de l’identité. « Peu importe le diagnostic, quand ce n’est pas le bon, les interventions peuvent être néfastes et le problème demeure », conclut Dre Perreau-Linck.

Mention photo : Élizabeth Martineau

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