Ce texte est paru dans le cahier spécial Portraits de l’édition papier du 30 mars 2023.
Documentariste, militante afroféministe, essayiste et prochainement scénariste, Amandine Gay a plus d’une corde à son arc. Récemment installée à Montréal, l’artiste française souhaite dorénavant retirer plus de plaisir dans ses créations et apprendre à ralentir. Une quête qui marque un nouveau jalon dans la carrière de celle qui ne cesse de compiler les projets.
« Amandine a la capacité de dire des vérités qui sont très dures, mais de manière très franche et accessible », souligne Mara Gourd-Mercado, directrice générale de la section Québec de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision. « Quand c’est Amandine, par sa façon d’aborder les [sujets], les gens sont prêts à entendre [des choses qui seraient mal reçues autrement] ».
La lucidité du propos d’Amandine est commune à tous ses projets, qui partent d’une démarche personnelle. Elle allie émotions et témoignages pour traiter d’enjeux humains, notamment le féminisme et le racisme.
Mara Gourd-Mercado se souvient de la sortie du premier documentaire d’Amandine, Ouvrir la voix, aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) en 2017. « Plusieurs personnes étaient sceptiques par rapport à ce type de sujet, mais ça a pavé la voie. Ça a fait salle comble ! », se remémore celle qui a rencontré Amandine lors des RIDM.
Lors de la production de son premier documentaire, Amandine Gay souhaitait s’entourer d’une équipe uniquement composée de femmes, de préférence racisées. Le documentaire expose l’expérience des femmes noires et des clichés véhiculés sur leur identité. Il a été réalisé dans une démarche dite guérilla, soit avec peu d’argent et de moyens de production.
Enrico Bartolucci, le conjoint et directeur photo de la documentariste, s’est rapidement greffé au projet comme vidéaste et monteur. « On le dit souvent à la blague, mais tant qu’à ne pas rémunérer ceux qui travaillent sur le film, mieux vaut prendre un homme blanc cishet [cisgenre et hétérosexuel] », reconnaît-il. La démarche politique et éthique de la réalisatrice la suivra dans tous ses projets documentaires, tout comme son mari.
Une histoire mise à profit
Ouvrir la voix est l’aboutissement de trois ans de travail, durant lesquels Amandine complète parallèlement une maîtrise en sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) sur l’adoption.
Longtemps, Amandine, elle-même adoptée par une famille française, ne s’est pas posé de questions sur cette facette de son identité. Elle avait fait des recherches sur sa famille biologique à 18 ans, mais s’était vite arrêtée en raison du fardeau émotionnel qui en découlait. Le thème de sa maîtrise lui permet de se questionner à nouveau sur le sujet, qui devient un terreau fertile pour son implication militante, comme pour son art.
Sa maîtrise à l’UQAM marque sa première arrivée à Montréal. Elle retourne en France l’instant de la production de son deuxième documentaire, Une histoire à soi, où elle donne la parole à des personnes adoptées. La même année, en 2021, elle publie un essai-récit, Une poupée en chocolat, sur le thème de l’adoption. Amandine a également fondé en novembre 2018 le Mois des Adopté.e.s. Cette initiative, se déroulant en France, en Suisse, au Québec et en Belgique, propose chaque année conférences, discussions et événements culturels.
Dès son premier documentaire, Ouvrir la voix, elle se fait approcher par des maisons d’édition. Aucun sujet ne lui paraît cependant propice à la rédaction avant la fin de son deuxième documentaire. « Au fur et à mesure de mon travail sur Une Histoire à soi, j’ai pris conscience du déséquilibre dans le rapport de pouvoir [entre moi et mes sources]. Je ne suis pas d’accord avec le fait de demander aux gens qui témoignent de s’exposer plus que moi, et je n’avais pas encore pris la parole à titre personnel », souligne celle qui est nommée dans la catégorie « Auteur(e) » au Gala Dynastie 2023 pour son essai-récit.
Depuis cette année, Amandine réside à Montréal et compte y rester grâce à l’espace artistique et médiatique qu’elle juge plus inclusif qu’en France, elle s’y plaît.
Carburer à l’empathie
Dans le cadre de son deuxième documentaire, Amandine a rencontré 45 personnes et a enregistré les propos de 24 d’entre elles, pendant deux à trois heures chaque fois.
Son empathie est sa force, mais aussi son talon d’Achille. Accueillir les traumatismes des personnes filmées, aux histoires similaires à la sienne, a été lourd à porter. « En documentaire, il faut un engagement total [pour accueillir les témoignages] et on carbure à l’empathie. Contrairement aux psychologues, on n’a pas de techniques de détachement parce que sinon, le film n’est pas bon », note celle qui est accompagnée par un psychologue depuis des années.
Depuis Une histoire à soi, elle souhaite retrouver sa légèreté et ralentir son rythme de travail, mais le défi est grand : elle ne prend jamais plus d’une semaine de vacances.
Une passion pour le jeu
Amandine Gay a étudié en sciences politiques et a fait un stage en documentaire dans le cadre de son baccalauréat, mais son réel coup de cœur demeure le jeu.
L’idée de son premier documentaire lui est venue en audition, peu après sa sortie du conservatoire d’art dramatique du 16e arrondissement de Paris, en France. Elle peinait à trouver des rôles : tout ce qui lui était proposé était fortement stéréotypé.
Après un détour professionnel en documentaire, elle veut désormais montrer des femmes noires dans ses projets de fiction, à travers l’humour plutôt que sous la lentille du traumatisme, qu’elle juge trop souvent exploitée par le monde du cinéma et de la télévision. Elle travaille actuellement sur plusieurs projets, dont deux films de fiction, une série télévisée et un livre sur la suprématie blanche.
« Ce qui me motive, c’est la fiction, parce que ça m’amuse. Les sujets politiques m’ont éloignée de la légèreté. Avant, je dansais, je chantais. J’ai envie de remonter sur scène », partage-t-elle. En travaillant en fiction, elle boucle la boucle et se rappelle pourquoi elle est initialement entrée dans l’industrie culturelle.
Après un succès aussi retentissant qui a pavé la voie aux documentaires qui traitent sans détour d’enjeux féministes et racistes, Amandine croit qu’il faut faire place à de nouveaux rôles pour les femmes noires marginalisées, loin des stéréotypes, dans toute leur authenticité.
Mention photo : Camille Dehaene | Montréal Campus
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