La santé mentale au masculin

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 mars 2023

Le tabou entourant la santé mentale masculine commence peu à peu à tomber. Les intervenants et les intervenantes du milieu des services sociaux rapportent qu’un nombre grandissant d’hommes demandent du soutien professionnel. Regard sur l’état psychologique des Québécois et sur ceux et celles qui souhaitent leur venir en aide.

Une dizaine d’hommes se réunissent chaque semaine dans un local du Centre de Ressources pour Hommes de Montréal (CRHM). Ils participent au café-rencontre du jeudi soir, l’une des initiatives du projet « Milieu de Vie » que l’organisme montréalais a mis sur pied afin d’offrir des soins en santé mentale adaptés aux besoins de la clientèle masculine.

Quatre ans après l’implantation de cette initiative du travailleur social au CRHM Eric Laflamme, ce dernier vante les effets positifs des cafés-rencontres qu’il anime. Selon lui, elles comblent un manque dans l’offre de ressources pour les hommes. 

Un cercle social sans tabou

Retraités, étudiants ou hommes d’affaires : tous peuvent prendre part aux cafés-rencontres. Les motifs de consultation sont également très diversifiés. Lors du passage du Montréal Campus au local du CRHM le 3 mars dernier, un homme prend la parole au début d’une rencontre et révèle avoir des problèmes de gestion de sa violence. Ces soucis ont ruiné sa vie amoureuse, admet l’homme qui ne peut retenir ses larmes au cours de son intervention. Un autre se lève et déclare avoir subi de l’abus de la part de ses parents au cours de son enfance. C’est la première fois que le quarantenaire s’ouvre par rapport à son enfance tumultueuse.

Pour plusieurs des habitués de ces rencontres, les locaux du CHRM constituent le seul endroit où ils peuvent parler avec leur cœur. Les règles auxquelles sont soumis les hommes présents aux rencontres du jeudi sont l’écoute, le respect de l’autre et de soi, ainsi que la confidentialité du contenu des discussions. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’identité des participants n’est pas divulguée dans cet article. 

Les besoins en ressources pour hommes sont criants partout au Québec. L’Institut national de la statistique du Québec (INSPQ) rapporte qu’en octobre 2022, près d’un homme sur dix était considéré comme souffrant d’une forme sévère de détresse psychologique. Bien qu’une proportion similaire de femmes vivent également de la détresse psychologique, la clientèle masculine se distingue par sa réticence à demander de l’aide. De plus, les hommes québécois sont trois fois plus nombreux à se suicider que les femmes, selon l’INSPQ.

L’organisme AutonHommie, basé à Québec, accueille entre 600 et 700 hommes par année, affirme son coordonnateur clinique, Vincent Chouinard. À l’instar du CRHM, AutonHommie offre des cercles de discussion ainsi qu’un accès à des professionnels de la santé tels que des travailleurs et des travailleuses sociales ainsi que des sexologues. Les hommes qui fréquentent AutonHommie proviennent principalement de la région de la Capitale-Nationale. Toutefois, un certain nombre part d’aussi loin que de Chaudière-Appalaches ou du Saguenay-Lac-Saint-Jean pour bénéficier des services de l’organisme. 

Ces oubliés du système 

Au cours du café-rencontre du 3 mars, au CRHM, le travailleur social Eric Laflamme demande aux hommes à quel point il leur était difficile de demander de l’aide. Un homme confie avoir marché plus de 30 minutes pour accéder aux urgences de l‘Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Au bout du rouleau, il a déclaré au personnel présent sur place qu’il était suicidaire et qu’il devait être hospitalisé. Le personnel de l’urgence l’a tout de même invité à rentrer chez lui. Un autre participant affirme avoir vécu une situation similaire.

Janie Buissière, sexologue au CRHM, rapporte que près de 30 % des hommes abandonnent le processus de demande d’aide en santé mentale avant d’être parvenus à obtenir les soins sollicités. « Déjà, pour beaucoup d’hommes, c’est difficile de prendre le téléphone pour demander de l’aide. Alors, lorsque le processus tarde et qu’on réfère les individus de gauche à droite, beaucoup perdent patience », illustre Mme Buissière.

Pour Vincent Chouinard, les lacunes en matière d’accès aux services sociaux chez les hommes débutent dès leur entrée à l’école. M. Chouinard cite l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle 2017. Celle-ci mentionne que 35 % des garçons à la maternelle présentent des lacunes dans leur développement, comparativement à 20 % chez les filles. « On doit prendre en charge ces jeunes garçons afin qu’on parvienne à rétablir la situation avant qu’il soit trop tard », argue le coordonnateur clinique chez AutonHommie.

Autant les professionnel(le)s du CRHM que d’AutonHommie affirment que la prévention et un meilleur financement des ressources en santé mentale sont nécessaires pour parvenir à améliorer la situation des hommes en difficulté. « En avril 2022, le gouvernement du Québec a octroyé une enveloppe de 100 millions de dollars pour améliorer l’accès aux soins de santé mentale. Ça peut paraître énorme, mais au bout du compte, un organisme comme AutonHommie ne recevra que 2000 à 3000 dollars », affirme M. Chouinard. Celui-ci évoque les besoins financiers importants dans son milieu, notamment pour offrir des salaires concurrentiels aux employé(e)s.

« Les jeunes hommes sont de plus en plus sensibles aux enjeux de santé mentale. Il y a dix ans, on ne recevait à peu près personne en bas de 30 ans. Aujourd’hui, les usagers sont de plus en plus jeunes. […] Les garçons sont aussi de plus en plus enclins à s’ouvrir sur leurs sentiments entre eux », observe Vincent Chouinard, optimiste face à l’avenir.

Eric Laflamme, du CRHM, établit les mêmes constats. « Au cours de la pandémie, nous avons développé une offre de soins en ligne. Nous sommes maintenant rendus avec deux cafés-rencontres, un le jeudi et un autre en mode virtuel le lundi après-midi. Ça nous permet notamment d’aller chercher une autre clientèle, souvent plus éloignée des grands centres », se réjouit M. Laflamme.

Mention photo : Camille Dehaene|Montréal Campus

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