Appel à un cirque plus inclusif

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 mars 2023

Le Cirque du Soleil, le Cirque Éloize, Les 7 doigts de la main : le Québec est une véritable plaque tournante pour l’industrie des arts circassiens. Alors que les noms des compagnies de cirque d’ici nous viennent facilement en tête, ceux d’artistes professionnel(le)s en situation de handicap sont moins connus en raison de leur faible représentation dans le milieu. 

« Ça a été une expérience variée pour moi. J’ai eu moins de gens qui m’ont dit directement que je ne pouvais pas faire du cirque. C’étaient plus des commentaires comme: « Oh, je ne sais pas comment tu vas faire ça », « Notre espace n’est pas fait pour toi, on n’a pas l’équipement ». Ça peut être décourageant », raconte Brennan Roy, artiste de cirque se déplaçant en fauteuil roulant et vivant dans le Grand Toronto. 

Selon iel, ce sont les petits studios de cirque qui démontrent une plus grande flexibilité. « Je n’ai pas essayé d’aller vers les plus grandes écoles de cirque. Je me sens intimidé(e) », exprime Brennan. 

Au Québec, aucune école de cirque n’offre de formations professionnelles pour les personnes en situation de handicap. « Si on regarde du côté de l’École nationale de cirque, pour avoir accès aux programmes professionnels, il faut avoir une certaine condition physique pour faire les auditions. Il y a beaucoup de chemin à faire pour rendre ça accessible au niveau professionnel », explique Emmanuel Bochud, conseiller principal en innovation sociale et formation au Centre de recherche, d’innovation et de transfert de connaissance en arts du cirque, affilié à l’École nationale de cirque. Celle-ci a d’ailleurs refusé la demande d’entrevue du Montréal Campus

Des portes fermées 

Puisque les programmes de formation professionnelle ne sont pas accessibles aux personnes ayant un handicap physique, ces dernières sont très peu représentées dans l’industrie des arts du cirque. « Si tu n’as pas accès aux racines, tu n’as aucune chance de devenir un artiste professionnel », déplore Tina A. Carter, performeuse de cirque en Angleterre qui a étudié les handicaps dans ce milieu artistique. 

Elle trouve « choquant » le manque d’accessibilité des écoles de cirque. « Quel droit avons-nous de leur dire « Ceci n’est pas fait pour toi » ? Il y a tellement de façons de travailler plus inclusivement », ajoute celle qui donne également des ateliers de cirque à des artistes en situation de handicap. 

Lorsqu’elle enseigne à une clientèle avec des besoins particuliers, l’artiste aérienne soutient qu’une discussion doit être ouverte afin d’adapter ses cours. « En tant qu’enseignant, il faut revoir ses objectifs, surtout lorsqu’on travaille avec un groupe de personnes ayant divers handicaps. C’est ensemble que vous allez trouver une solution », souligne Tina A. Carter. 

Selon Brennan Roy, le type d’espace où se pratique le cirque peut également faire obstacle à son accessibilité. « Il y a beaucoup de personnes qui fonctionnent avec des espaces loués, donc c’est plus difficile de s’adapter lorsque quelqu’un a des besoins particuliers. Par contre, je souhaiterais [que ces espaces soient déjà adaptés pour tous] », plaide l’artiste. 

Aux yeux des personnes interrogées par le Montréal Campus, les idéaux reliés au corps typique d’un(e) artiste de cirque nuisent à l’accessibilité de cet art à un niveau professionnel. « Je n’aime pas vraiment le concept du corps de l’artiste professionnel de cirque et l’entêtement de l’atteindre dans l’industrie », lâche Brennan. « C’est un corps athlétique et performant. Lorsque les compagnies viennent recruter des étudiants, elles cherchent la majorité du temps ce type de corps », se désole le conseiller Emmanuel Bochud.

Si le milieu professionnel n’est pas ouvert à tous les types de corps, le cirque social est plus accueillant. Cette approche utilise l’art circassien comme outil d’intervention auprès de clientèles marginalisées. C’est de cette façon que Brennan Roy, en 2018, a pu s’initier à cet art. « Avec le cirque social, tu peux prendre plus ton temps et tu as plus de soutien, tout en faisant quelque chose de cool avec ton corps. […] Je serais intéressé(e) de voir si, un jour, un pont entre le cirque social et le cirque professionnel se fera », rapporte-t-iel. 

Un cirque pour tous et toutes

La compagnie de cirque professionnelle Extraordinary Bodies est née du partenariat entre les entreprises Cirque Bijou et Diverse City, qui travaillent ensemble depuis maintenant 10 ans. « Extraordinary Bodies a pour objectif de créer un cirque démocratique, nous l’appelons aussi : « Le cirque pour tous les corps » », explique Geraldine Giddings, directrice générale du Cirque Bijou basé en Angleterre. 

Le concept est de créer des spectacles avec des artistes en situation de handicap et avec d’autres qui n’ont pas de besoins particuliers. « L’idée aussi est que les différents types de public puissent être représentés parmi les artistes, et vice-versa. Nous utilisons la langue des signes, la description audio et le sous-titrage dans chaque spectacle », précise-t-elle. 

D’après Mme Giddings, c’est la « flexibilité » des arts du cirque qui rend cette pratique si formidable. « Nos spectacles sont souvent imaginés de notre propre cru. Donc, de nouveaux équipements de cirque sont souvent créés pour les spectacles et/ou adaptés pour les artistes », détaille-t-elle. 

Pour Tina A. Carter, l’industrie des arts du cirque gagnerait beaucoup si elle devenait plus inclusive. « La société et le cirque s’amélioreront lorsque nous serons plus ouverts d’esprit, même si cela veut dire travailler plus fort. De nos jours, il n’y a aucune raison que les choses ne soient pas accessibles », relève-t-elle. 

« C’est un peu quétaine dit de cette manière, mais il ne faut jamais abandonner. Et c’est correct de se retirer un moment et d’aller chercher des encouragements [de son entourage] si l’on veut rendre cet espace plus ou moins navigable. C’est ce dont j’avais besoin au début », conseille Brennan Roy à ceux et à celles ayant un handicap qui souhaitent poursuivre une discipline du cirque. 

Mention illustration : Camille Dehaene | Montréal Campus

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