La gestion de l’itinérance remise en question à l’UQAM

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 mars 2023

En plein cœur du Quartier latin, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) peut souvent devenir un refuge pour les personnes en situation d’itinérance à la recherche de chaleur et de répit. Toutefois, plusieurs associations étudiantes jugent que l’administration gère cette population vulnérable avec un manque de sensibilité. 

Marguerite* est en situation d’itinérance et vient régulièrement à l’UQAM. Elle aime parcourir les longues allées de la bibliothèque pour faire des recherches sur toutes sortes de sujets. 

Pour elle, l’université est un sanctuaire où elle se sent en sécurité. « Il y a beaucoup de drogues dans le quartier et je me sens bien entourée lorsque je suis à la bibliothèque. Les gardiens de sécurité pensent parfois que je suis une professeure, alors ils sont très gentils avec moi. » 

Marguerite est consciente qu’elle ne doit pas rester toute la journée à l’université, au risque que l’on découvre son statut. Selon elle, les personnes qui se conforment davantage au « stéréotype d’itinérants » n’ont pas la même chance qu’elle. 

En date de 2018, 3149 personnes étaient en situation d’itinérance à Montréal, d’après le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. À la suite de la pandémie de COVID-19 et de l’intensification de la crise du logement, le CIUSSS estime que le nombre est aujourd’hui beaucoup plus élevé. 

Vers des solutions à l’UQAM ?

Ayant de moins en moins d’endroits accessibles pour répondre à leurs besoins ou seulement pour se mettre à l’abri des intempéries, certaines personnes en situation d’itinérance comme Marguerite qui n’ont pas accès à des services de base voient l’UQAM comme l’une des rares solutions pour se réfugier. 

« L’évolution du développement urbain du Quartier des spectacles a fait en sorte de repousser les personnes en situation de marginalité vers l’est, à la frontière du Quartier latin », explique Michel Parazelli, professeur associé à l’École de travail social de l’UQAM. 

Afin d’encourager un bon voisinage dans l’arrondissement Ville-Marie, le professeur siège au comité cohabitation UQAM et marginalités urbaines, qui a comme mandat de rassembler des acteurs et des actrices concerné(e)s par la cohabitation urbaine aux abords et au sein de l’université. Pour l’instant, le directeur du Service de la prévention et de la sécurité de l’UQAM, Normand Larocque, est le seul membre de l’administration universitaire à participer aux rencontres. Une invitation à l’ensemble de la direction de l’établissement a été lancée par le comité.

L’absence de personnes en situation d’itinérance au sein du comité préoccupe M. Parazelli. « Ça permettrait de changer un peu le regard sur ces personnes auxquelles on n’attribue habituellement pas beaucoup de crédibilité pour analyser leur propre situation. Arrêtons d’être dans la gestion des risques, et essayons de penser plus en termes de citoyenneté démocratique », propose-t-il. 

Marguerite aimerait bien que l’on entende sa voix lorsque des décisions qui la concernent sont prises. 

Malgré ces efforts de cohabitation, les tensions quant à la gestion de la population en situation d’itinérance sont tangibles à l’UQAM. Des associations étudiantes dénoncent, entre autres, l’arrivée de lecteurs de cartes magnétiques à l’entrée des toilettes, une mesure qu’elles jugent anti-itinérance. 

Ariane Beaudin, coordonnatrice générale de l’Association facultaire étudiante des arts (AFÉA), lutte aux côtés d’autres associations facultaires pour l’accessibilité aux toilettes pour toutes et pour tous. « Le conseil [de l’AFÉA] a adopté une motion contre, car on pense que l’accès aux toilettes est un droit universel, sans oublier les soucis d’accessibilité que cela peut causer à des gens en situation de handicap », affirme Ariane Beaudin. 

Les associations étudiantes signalent qu’aucune personne étudiante n’a été consultée concernant l’installation des lecteurs, et ce, même si la décision visait à les protéger. C’est ce que révèle un résumé d’une rencontre fourni par l’AFÉA entre les associations étudiantes, le Service de la prévention et de la sécurité, les Services à la vie étudiante et le Service des immeubles. Aucune étude concrète n’affirme que les lecteurs de cartes magnétiques permettent de prévenir le travail du sexe et la consommation de substances à l’UQAM, selon le document.   

Jenny Desrochers, directrice des relations de presse de l’UQAM, précise à ce sujet que 95 % des toilettes du campus central de l’université ne sont pas dotées d’un lecteur de cartes. Elle ajoute que les lecteurs « ont été installés pour répondre aux questions soulevées par les usagères et les usagers eux-mêmes, en lien avec la propreté des lieux et leur sentiment de sécurité ». 

Mme Desrochers souligne que depuis l’installation des lecteurs, l’UQAM observe une chute de 30 % du nombre d’interventions des équipes d’entretien de plomberie dues à « des incidents et des dégâts » qui avaient lieu dans ces toilettes. 

L’UQAM défend son approche

« Les agents du Service de la prévention et de la sécurité de l’UQAM sont respectueux en tout temps, et ce, peu importe le statut de la personne présente sur le campus », indique Jenny Desrochers. Elle ajoute que le Service de la prévention et de la sécurité a mis en place plusieurs mesures afin d’intervenir adéquatement auprès de cette population. 

Parmi ces dispositions, plusieurs comités ont été créés, auxquels siègent des organismes sociaux aux côtés de l’administration universitaire. L’UQAM participe également à la Table de concertation du faubourg Saint-Laurent, qui vise à favoriser la cohabitation sociale entre les différents individus qui fréquentent le quartier. 

Jenny Desrochers assure qu’une formation est donnée aux membres du Service de la prévention et de la sécurité sur les « premiers soins » psychologiques. Elle ajoute qu’une journée complète d’enseignement sur la communauté environnante de l’université est offerte à chaque agent et agente de sécurité de l’UQAM.

*Prénom fictif afin de conserver l’anonymat 

Mention photo : Camille Dehaene|Montréal Campus

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