L’Empire du silence : l’omerta levée sur l’hécatombe congolaise

Mise en garde : violence et abus sexuel

Diffusé dans le cadre du Festival Vues d’Afrique le 5 avril, L’Empire du silence du cinéaste Thierry Michel fait l’apologie du Congo, pays tourmenté depuis plus de deux décennies par des guerres tombées dans l’oubli. Une œuvre engagée à ne pas ignorer.

L’Empire du silence compose une fresque des souffrances vécues dans l’actuelle République du Congo (RDC). À l’aide de témoignages et d’images recueillis aux quatre coins de ce pays équatorial, le cinéaste livre un véritable plaidoyer pour que la justice soit rendue au peuple congolais, et que le silence qui les accable cesse.

Dans un Congo où les horreurs éclatent dans un quasi-mutisme, Thierry Michel parvient à délier les langues au détriment de l’appareil politique congolais et international.

D’un coup de maître, le réalisateur belge dresse le catalogue des tenants et aboutissants des guerres oubliées, des tueries de masses et des épouvantables massacres. Alors que l’impunité semble être le mot d’ordre de la justice congolaise, Thierry Michel met en examen chacun de ces crimes à l’aide d’archives documentaires magnifiquement tissées. Au banc des accusés, sont d’abord présentés les multiples hommes d’État ainsi que les militaires hauts gradés. Un exercice audacieux puisque les hommes d’armes règnent tels des seigneurs de guerre sur le Congo. L’ingérence des dirigeants voisins et l’impuissance de l’Organisation des Nations unies (ONU) sont également montrées du doigt.

Matière première et vies humaines

L’Empire du silence assure une synthèse historique soignée de la tragédie congolaise, avec comme point d’ancrage le discours de remerciement du récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2018, le Dr Denis Mukwege. Chaque séquence rappelle le paradoxe soulevé par ce dernier : « La réalité troublante est que l’abondance de nos ressources naturelles — or, coltan, cobalt et autres minerais stratégiques — alimente la guerre, source de la violence extrême et de la pauvreté abjecte au Congo. »

Le documentaire, teinté d’une subjectivité subtile, se consacre à dresser le recueil des conflits enfiévrés par des mouvements rebelles, des militaires congolais et des armées étrangères, chaque camp étant avide de pouvoir et des richesses du pays.

Enfants soldats, corps inertes empilés, massacres aveugles d’hommes, de femmes et d’enfants, viols en guise d’arme de guerre, déplacements massifs de réfugiés : les archives de Thierry Michel choquent et rappellent que les bourreaux de ces victimes vivent encore aujourd’hui en toute impunité.

Ambiguïté au sein des instances internationales

Thierry Michel n’est pas le premier à inventorier les crimes perpétrés au Congo. Le film souligne l’existence du Projet Mapping du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), un document publié en 2010 révélant les violations les plus graves des droits de la personne et du droit international humanitaire commises en RDC entre 1993 et 2003. Au moins 617 incidents violents ont été répertoriés. Toutefois, l’identité des criminels demeure cachée dans les tiroirs du HCDH.

À la vue du travail documentaire de Thierry Michel, l’auditoire ne peut s’empêcher de se demander : « Pourquoi rester muet devant ces crimes? » En cette question réside la commotion provoquée par l’œuvre du cinéaste.

« Que peut un film face à un tel massacre? », souffle de tristesse Thierry Michel à la chute du film, alors que la caméra pointe le soleil qui se couche sur le fleuve Congo. Cette phrase épilogue en dit bien long sur l’espoir que porte le réalisateur après trente ans de travail, dans un pays blessé aux dépens de tous et de toutes.

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