« Boys Club » à l’affiche

Pour dénoncer des dynamiques sexistes dans le baccalauréat en cinéma à l’automne 2020, 68 étudiants et étudiantes du programme ont écrit anonymement une lettre adressée à la direction de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Plus d’un an plus tard, peu de choses ont changé.

C’est à la suite d’un inconfort généralisé chez les étudiantes du baccalauréat en cinéma que la discussion s’est ouverte, en décembre 2020.

« Dès les admissions, on a été super touchées par la disparité entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes. On était 8 filles pour 22 gars », raconte Camille Corbeil, étudiante en troisième année.

Des événements où du sexisme a été perçu se sont ajoutés à cette impression d’iniquité. « Dans les cours, on voyait souvent, des mêmes professeurs, que les réponses des filles et les sujets apportés par les filles du programme étaient moins appréciés que ceux des gars », déplore l’étudiante.

Charlotte*, étudiante en troisième année, a elle aussi constaté une dynamique de pouvoir. Souhaitant conserver l’anonymat afin d’éviter que son parcours ne soit influencé par sa prise de parole, elle dit avoir vu des professeurs éviter le regard des étudiantes et « parler sans respect à des professeures, en les interrompant brusquement, comme si leur point de vue était moins important ».

Besoin de parité et de division

Encouragé(e)s par certaines professeures, les étudiantes et les étudiants ont alors écrit une lettre à la direction de l’École des médias à l’automne 2020 pour révéler la problématique et proposer des solutions. Cette lettre critiquait le « manque de compréhension face à la place que les femmes tentent [difficilement] de créer dans le domaine cinématographique » venant de l’Université, le « manque de parité et d’impartialité qui permet un favoritisme dans le choix des projets », ainsi que d’autres comportements sexistes.

La lettre n’était pas adressée à quelqu’un en particulier. Pourtant, le responsable du programme de l’époque, Denis Chouinard, était implicitement visé. Selon les signataires, le fait que cette personne « détienne plusieurs postes à plusieurs niveaux [à l’UQAM] » lui accordait un trop grand pouvoir décisionnel sur leur parcours, et leur faisait craindre des représailles si un débat sur le sujet était lancé.

Réponse tiède du programme

Quelques semaines après la réception de la lettre, Denis Chouinard a quitté ses fonctions de responsable du programme. Il continue toutefois d’enseigner et de diriger l’École d’été de l’UQAM à Prague. Au moment où ces lignes étaient écrites, M. Chouinard avait décliné la demande d’entrevue du Montréal Campus.

Roxanne*, une étudiante de deuxième année, a eu M. Chouinard comme professeur à l’hiver 2021. Ses camarades et elle ont abordé le problème de discrimination envers les femmes lors d’un cours. Elle relate que le lendemain, il aurait demandé à garder uniquement les garçons dans la classe pour qu’ils s’expriment sur cet incident avec un autre enseignant. Les étudiantes présentes l’ont accusé de « faire un boys club », ce qui a accentué son mécontentement. Il aurait démenti son existence en lançant qu’il ne le dirigeait pas, d’après Roxanne.

Clovis Gouaillier, le nouveau responsable du programme de cinéma, avance pour sa part ne pas voir de dynamiques sexistes. « Après analyse, j’ai toujours de la misère à voir comment ces dynamiques pourraient s’installer et où elles seraient. Ce n’était pas clair à l’époque et ça ne l’est pas plus maintenant », relate-t-il.

Pour le responsable de programme, cette missive manquait de clarté et était un événement isolé. « C’était une lettre anonyme qui dénonçait des situations plutôt vagues. Rien n’a été identifié précisément comme situation problématique », déclare-t-il.

M. Gouaillier doute de la présence de sexisme dans le baccalauréat, qu’il croit peut-être associé à des circonstances exceptionnelles de la cohorte des finissants et des finissantes. « Depuis un peu plus d’un an, on n’a pas eu de demande de suivi ou d’autres récriminations, bien qu’il y ait une modalité ouverte pour veiller à ce que le programme soit équitable [envers tous et toutes] », dit-il.

Camille Corbeil ne regrette pas d’avoir participé à la rédaction de la lettre. Cependant, sa vision des événements s’est modifiée avec du recul. « Oui, il faut dénoncer, mais il faut comprendre qu’il y a tout le temps deux côtés à la médaille. J’ai l’impression qu’on n’a peut-être pas vu l’autre côté [de la situation]. Je pense que ça aurait pu être apporté autrement », soutient-elle.

Un vent de changement

Depuis ces événements, les étudiants et les étudiantes en cinéma ont observé des changements positifs. « La chose qui a le plus changé, sur laquelle mes collègues et moi on s’applique le plus, c’est d’avoir plus d’autrices dans les syllabus et plus d’œuvres de cinéastes féminines », partage Clovis Gouallier. La parité est désormais respectée dans les comités, les jurys et le corps enseignant. En plus du soutien offert, des rencontres trimestrielles ont lieu pour prendre le pouls des personnes étudiantes à ce sujet.

Les deux plus récentes cohortes sont presque paritaires. Toutefois, le nombre d’hommes et de femmes admis(e)s dans le baccalauréat demeure une coïncidence. En effet, le genre n’est pas un critère de sélection, et aucune discrimination négative ou positive n’est faite dans le processus d’admission.

Selon Clovis Gouaillier, la cohorte des finissants et des finissantes qui a aléatoirement accueilli beaucoup plus d’hommes que de femmes n’a été, en ce sens, victime d’aucun sexisme de la part de l’institution.

Les cohortes actuelles se disent satisfaites du résultat de cette prise de parole. Les instigateurs et les instigatrices de la lettre espèrent que les prochaines générations d’étudiants et d’étudiantes n’auront pas à revivre de telles difficultés. « J’ai ressenti beaucoup d’incompréhension et d’invalidation de plusieurs femmes. Tout le monde disait “c’est dans votre tête”, et on y croyait », confie Charlotte*, qui dit être ressortie de ces événements « complètement épuisée ».

Pour ces étudiants et ces étudiantes, ce combat était toutefois bien plus qu’une question de sexisme entre les murs de l’Université, mais plus largement une lutte pour une meilleure représentation des femmes dans l’industrie cinématographique au Québec.

Avec la collaboration de Mia Gagné Vincent.

Une illustration de Augustin de Baudinière | Montréal Campus

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