Elle-même née d’un élan de grèves à travers les cégeps et les universités de la province, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) est le berceau de mouvements étudiants qui façonnent la société québécoise depuis près d’un demi-siècle.
En 1968, alors que la Révolution tranquille commence à porter ses fruits, la demande pour une seconde université francophone à Montréal mène à un premier mouvement étudiant généralisé. Ce dernier donne lieu à des assemblées générales, des grèves et des manifestations à travers une quinzaine de cégeps et d’associations universitaires dans la province.
À l’époque, les recommandations du rapport Parent appelaient à démocratiser l’éducation et à créer de nouvelles institutions laïques. Le réseau de l’Université du Québec est alors fondé et les premiers pavillons ouvrent leurs portes à l’automne 1969, dans le Quartier latin.
« Quand l’UQAM est créée, l’un de ses discours était qu’elle voulait être une université nouvelle, c’est-à-dire en rupture avec les universités traditionnelles, chrétiennes et privées comme l’Université de Montréal et l’Université Laval », explique le candidat au doctorat en histoire à l’UQAM Jaouad Laaroussi.
Aujourd’hui, le campus incarne encore « quelque chose d’important dans l’idée ‘‘d’université’’, qui est l’idée d’un lieu de débat critique où on remet en question la société », constate le député solidaire de Gouin Gabriel Nadeau-Dubois, qui a étudié à l’UQAM de 2008 à 2017.
En 1960, moins de 5 % des Québécois et des Québécoises ont accès aux études universitaires, contre près de la moitié de la population aujourd’hui. Dès sa fondation, l’UQAM a pour mission principale la démocratisation de l’éducation et prône la gestion participative et le renversement des pouvoirs. Paradoxalement, la volonté de syndicalisation du personnel de soutien est à l’origine de la première grève dont sont témoins les pavillons montréalais, en 1972 et 1973.
Peu de temps après, le premier combat mené par la communauté étudiante de l’UQAM porte, en 1973, sur le moment du paiement des frais de scolarité, reproduisant le modèle de grève des travailleurs et des travailleuses. Cette levée de cours, qui dure près de cinq semaines, est le premier de plusieurs soulèvements étudiants majeurs dans l’histoire de l’Université.
Du COPE à l’AGEUQAM
Les grèves de l’époque sont menées par le Comité d’organisation provisoire des étudiants (COPE), jusqu’à ce que l’Association générale des étudiants (AGEUQAM) soit mise en place après une importante mobilisation en 1976.
Dans les années 1980, le militantisme de gauche est en effervescence à l’Université, tandis que la province semble prendre un virage néolibéraliste. « L’UQAM va jouer un rôle de précurseure en matière d’associations étudiantes lors de la grève de 1986 », explique Jaouad Laaroussi. Cette grève pour le maintien du gel des frais de scolarité marque l’éclatement de l’AGEUQAM, donnant ainsi naissance aux premières associations facultaires.
Frais de scolarité et régime de prêts et bourses ont été au cœur des luttes récurrentes de la population étudiante, qui a fait de l’accessibilité aux études supérieures son principal cheval de bataille.
Si ces revendications étudiantes ont été au centre des mobilisations, les initiatives pour une justice sociale se sont également multipliées à travers les années. « L’UQAM a [joué] un rôle d’avant-garde sur des enjeux comme le féminisme, le racisme et la critique de la guerre », évoque M. Laaroussi, qui décrit l’Université comme « un incubateur de ces luttes ». Plus récemment, la communauté étudiante s’est notamment mobilisée pour des enjeux intersectionnels et environnementaux.
« Le répertoire d’actions des étudiants et des étudiantes demeure à peu près le même à travers les années », dit-il. Cependant, les modes de répression utilisés par l’administration sont eux aussi demeurés semblables. La sécurité et le recours aux forces policières se sont accrus depuis la grève étudiante de 2012, remarque la déléguée étudiante au conseil d’administration de l’UQAM Stéphanie Thibodeau.
Le printemps érable
En 2012, la menace d’augmentation des frais de scolarité du gouvernement libéral de Jean Charest provoque la mobilisation de 300 000 étudiants et étudiantes pendant plus de six mois. Ce mouvement contre l’augmentation des frais de scolarité dans les universités, qui divise la société entre carrés rouges et verts, est le plus important jamais recensé au Québec.
« 2012 est un point tournant parce que c’est le moment où il y a eu une attaque coordonnée et organisée contre l’exercice du droit de grève étudiant », affirme Gabriel Nadeau-Dubois, qui était à l’époque co-porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), regroupant entre autres des facultés uqamiennes.
Lors de cette période, la loi spéciale 78, visant à mettre fin aux mesures de grève, et les nombreuses injonctions déposées pour faire interdire le piquet de grève ou invalider des votes de levées de cours judiciarisent le conflit.
Si le droit de grève était auparavant reconnu de facto par le gouvernement et les administrations collégiales et universitaires, il a fait l’objet d’une importante remise en question lors de cette mobilisation d’envergure.
« Ces luttes doivent être prises de façon collective, et nos établissements d’enseignement sont des berceaux propices à ce genre de mouvements », observe Stéphanie Thibodeau.
« Bastion du militantisme »
Historiquement, la réputation militante de l’UQAM a fait l’objet de remarques dans la sphère publique. « Ce qu’on voit aujourd’hui, dans les médias, c’est une caricature de l’UQAM gauchiste, féministe, anarchiste ou communiste », déplore M. Laaroussi.
Pour Gabriel Nadeau-Dubois, « l’UQAM représente un bastion du militantisme étudiant et du militantisme en général depuis sa fondation ». « Ça fait partie de l’ADN de l’UQAM, pour le meilleur et pour le pire », poursuit-il.
Cinquante ans après sa fondation, l’UQAM s’inscrit dans le paysage québécois comme un lieu qui favorise l’émergence d’idées et de débats. Si les mouvements qui habitent l’Université la transforment, ils changent aussi les individus qui la fréquentent, selon Jaouad Laaroussi.
« Ce développement de puissance politique dans le mouvement étudiant, dit-il, c’est quelque chose qui va au-delà de l’Université et qui fait en sorte que les gens sont capables d’intervenir dans leur milieu de travail, dans leur quartier ou dans la politique en général. »
photo : OLIVIER LAUZON ARCHIVES MONTRÉAL CAMPUS
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