Un projet qui n’a de laïque que le nom

Je me présente. Je suis une jeune de 26 ans, femme, on ne peut plus ostensiblement musulmane, francophone, canadienne, québécoise, d’origine marocaine, mariée, maman depuis 5 mois, engagée depuis toujours, juriste, récipiendaire de plusieurs prix et bourses d’excellence et d’engagement québécois, détentrice d’un baccalauréat en relations internationales et droit international, complétant une maîtrise en administration internationale, chargée de projets en droits de la personne.

P.-S. – Cette énumération n’est pas exhaustive et ne revêt pas d’un ordre d’importance quelconque. Vous comprenez que je ne suis pas plus femme que maman. Je suis les deux, en même temps, tout le temps.

L’ensemble de ces composantes étant inhérent à la définition de ma personne, si l’ordre ne vous convient pas, libre à vous de le changer.

Hajar Jerroumi est diplômée du baccalauréat en relations internationales et droit international de l’UQAM.

Je me mets à rédiger ces mots en sentant malgré moi un fardeau de self-advocacy (car oui, parler anglais ne fait pas de toi une menace pour la francophonie au Québec), car lorsqu’on est une femme qui milite pour les droits des femmes ou une « minorité visible » qui défend les droits des minorités, nous partons malheureusement d’office, et à tort, avec une perception douteuse de crédibilité et de victimisation.

Quant au Québec, il semble depuis quelques années se définir autrement que par la définition qu’on m’avait enseignée. Le Québec adopte un nouveau visage ostensiblement opprimant et discriminatoire.

Nombreuses ont été les tentatives, nombreuses ont été les appellations, mais le but demeure unique : institutionnaliser l’oppression, l’exclusion, la discrimination et la violation de droit et libertés fondamentales des Québécois et des Québécoises ayant fait le choix de croire.

Le débat sur la laïcité, la religion, l’identité, le vivre-ensemble a une fois de plus rejailli au Québec, mais cette fois-ci avec un degré d’incohérence et de lâcheté populiste et électoraliste sans précédent.

Lâcheté dans la fermeture du débat démocratique par le recours à la clause dérogatoire.

Lâcheté dans la protection derrière la clause dérogatoire pour violer tant les instruments nationaux constitutionnels que les engagements internationaux en matière de protection des droits et libertés de la personne; la Rule of Law comme fondement de notre société.

Lâcheté par l’adoption de la motion de retrait du crucifix (signe religieux de la majorité) du Salon bleu de l’Assemblée nationale, à titre de compromis opportuniste qui légitimerait l’action du gouvernement de s’attaquer aux signes religieux des minorités.

Lâcheté par l’intégration d’une clause de garantie de droits acquis, une manière opportuniste d’éviter d’être étiqueté de gouvernement qui congédie ses fonctionnaires sur la base de leurs croyances.

Lâcheté dans la perte de temps et de ressources dans l’alimentation politico-médiatique et la prétention de résolution d’un problème inexistant, encore moins « urgent » ni « réel », au point de nécessiter une dérogation aux garanties constitutionnelles des droits et libertés.

Lâcheté dans son incapacité de faire preuve de compétence en s’attaquant aux vrais problèmes du Québec et des Québécois et de se cacher derrière des pseudo-menaces identitairo-linguistico-confessionnelles.

Manquez-vous d’exemples de problèmes urgents et réels ? Venez que je vous en parle. Pour n’avoir travaillé que sur des dossiers de droits des enfants, de droits de la jeunesse et de droits des femmes, la fugue et la vulnérabilité de jeunes filles, le harcèlement, l’exploitation, la violence et les agressions à caractère sexuel de mineurs et d’adultes au Québec SONT de vrais problèmes !

Les 19 % de Québécois analphabètes et les 34,3 % qualifiés d’analphabètes fonctionnels, ÇA, c’est un vrai problème !

Le profilage racial, la discrimination systémique, le taux de chômage des minorités ethnoculturelles malgré leurs qualifications et leur sous-représentation dans les positions d’autorité et de prise de décisions SONT de vrais problèmes.

Lâcheté et incohérence, on a dit ? Rajoutez-y le manque de respect…

Ce projet de loi est profondément irrespectueux de l’histoire intrinsèquement plurielle du Québec, irrespectueux des valeurs fondamentales qui définissent notre société et qui font son unicité dans le monde, à savoir son ouverture, son inclusion et sa valorisation de la diversité et des libertés individuelles.

Ce projet de loi est d’autant plus diminutif et irrespectueux de l’intelligence des Québécois et des Québécoises, car il n’y a de plus simpliste que de nous faire croire que la neutralité et l’impartialité d’une personne lors de l’exercice de sa fonction seraient assurées par le retrait de tout signe religieux.

La laïcité de l’État consiste à assurer la neutralité et l’impartialité de ses positions, de ses décisions et de ses législations face à toutes formes de croyance ou de non-croyance de ses citoyens.

La laïcité de l’État consiste à garantir et à protéger la liberté de conscience de ses citoyens.

La laïcité de l’État consiste à ne pas favoriser ou à défavoriser un citoyen ou une citoyenne en fonction de sa croyance ou de sa non-croyance.

L’obligation de laïcité incombe à l’ÉTAT, non aux citoyens.

Et devinez quoi, le Québec est déjà laïque dans les faits et le présent projet de loi sur la laïcité n’a de laïque que le nom.

Ce projet de loi est d’autant plus dangereux, en ce sens qu’il institutionnalise par le biais de la législation la discrimination, l’exclusion et l’oppression comme valeurs et pratiques acceptées et acceptables au Québec.

Considérant tout ce qui précède, l’adoption d’une clause d’exception permettant à Montréal de ne pas se plier aux exigences de son application n’est PAS une solution.

Le retrait des commissions scolaires anglophones de son application n’est PAS une solution.

La seule et unique solution envisageable et acceptable est le retrait intégral du projet de loi.

D’ailleurs, le retrait ne viendrait que réparer une erreur historique sur le point d’être commise, une page de l’histoire consacrant la honte d’appartenir à un Québec qui marche sur les pas de la France du racisme et de l’exclusion.

Or, en tant que société qui se respecte et qui respecte les valeurs qui la définissent, nous devons, en plus du retrait, exiger du gouvernement des excuses pour avoir porté atteinte aux valeurs fondamentales du Québec et du Canada pluriels et pour avoir porté un préjudice moral aux Québécois et aux Québécoises ayant fait le choix d’adhérer à une croyance et de contribuer pleinement, activement et ambitieusement à la société dans laquelle ils ont choisi de vivre.

À bon entendeur,

Quant à moi, j’ai des problèmes réels et urgents au Québec à régler.

 

L’auteure de cette lettre est diplômée du baccalauréat en relations internationales et droit international de l’UQAM.

Commentaires

3 réponses à “Un projet qui n’a de laïque que le nom”

  1. Avatar de Dominique Beaulieu
    Dominique Beaulieu

    « L’obligation de laïcité incombe à l’ÉTAT, non aux citoyens. »

    Il n’a jamais été question d’imposer l’obligation de laïcité aux citoyens mais uniquement aux agents de l’État. Quand un citoyen travaille pour l’État, il cesse d’être citoyen pendant ses heures de travail et ce même citoyen devient l’État, avec les obligations de neutralité et d’apparence de neutralité qui en découlent.

    Dans le fond, pourrait-on porter une croix gammée nazie ou bien la faucille et le marteau communiste tout en étant juge, policier ou enseignant? Les symboles religieux sont à mettre dans la même catégorie.

  2. Avatar de Pierre Rancan
    Pierre Rancan

    « un Québec qui marche sur les pas de la France du racisme et de l’exclusion »

    Je vous invite à plus de modération envers mon pays, la France, qui a accueilli depuis des siècles des vagues migratoires qu’aucun autre pays d’Europe n’a connues (italiens, espagnols, portugais, maghrébins, arméniens, moyens orientaux, africains, indochinois, Russes, Polonais, juifs, musulmans, orthodoxes…).
    Tous aujourd’hui se définissent comme français au point que dans l’espace publique il soit impossible de distinguer ceux qui sont issus d’une immigration récente de ceux qui sont là depuis l’époque d’Asterix.
    Certes cela ne s’est pas fait et ne se fait pas sans difficultés…mais dans les vieux pays européens, il n’y a que dans notre république que vous pourrez exercer pleinement votre citoyenneté, sans entrave de classe, de race, de religion, de privilèges économiques ou nobiliaires et ce, depuis bien plus longtemps que tous ces grands Pays qui nous ont montré, il y a pas si longtemps encore, l’exemple de la ségrégation et de l’intolérance la plus abjecte.
    La laïcité n’est pas une valeur en soi, mais un (simple) dispositif garantissant une valeur, la liberté de conscience. Celle de croire en un Dieu comme celle de ne pas croire du tout.
    Ce dispositif à un nom : la neutralité des pouvoirs publics vis à vis des religions.
    Et cette neutralité s’exerce au profit de tous les autres, de tous ceux qui croient en un autre dieux ou de ceux qui ne croient en rien.
    Elle a aussi cette conséquence d’éviter que des citoyens ne se regroupent au sein de communautés identitaires et culturelles distinctes de la nation. Ils peuvent naturellement toujours le faire, mais il seront moins disposés à cela dans la mesure où ils auront la chance de se fondre dans un ensemble plus grand.
    Accepter d’exercer sa liberté religieuse ailleurs que dans ses attributions politiques, civiques et administratives c’est une marque de respect vis à vis de ses autres concitoyens et finalement l’histoire, en France tout au moins, montre que cela n’est pas si traumatisant pour les milliers de catholiques, juifs, musulmans, orthodoxes, protestants et athées qui ont exercé ou qui exercent des fonctions publiques.
    Si cela devait vous arriver, vous ne vous en sentirez que plus proche de vos concitoyens québécois et réciproquement.
    Si vous ne le faite pas pour vous, songez à l’avenir du petit québecois que vous avez mis au monde,
    Avec toute ma sympathie

  3. Avatar de Denis Beaulé
    Denis Beaulé

    Une fois légalisé, « on » trouve cela légitimé. L’Observation en témoignait déjà et des ‘Grand.e.s’ le rappelaient, pour en appeler à retenue : légiférer à fin d’interdire libre expression de religieux, engendre, le plus souvent sinon quasi invariablement, plutôt que n’inhibe manifestations d’intolérance. Ç’aura été constaté dès les lendemains d’adoption de la loi de la fête des pères. Tout à coup, à l’école, des madames s’faisaient r’garder d’travers, de ‘haut’ ou dédaigneusement, comme si elles n’étaient pas « correctes ». Puis advint ce qui ne pouvait ne pas advenir. Le PM même écopa d’un ‘déferlement’ sur sa propre page Facebook, où, habituellement, il y aurait quasi unanimité en sa faveur.

    Qui plus est, un chef de parti, incidemment du parti même dont émane ce PM, renchérit en déclarant haut et fort qu’il faudra[it] réprouver à plate couture véhémentement les ceuze objectant, évidemment complètement à tort va de soi, que la loi de la fête des pères irait à l’encontre de droits ou libertés de minorités.

    Oh la la ! Ainsi donc, faudrait-il alors déconsidérer ou méconsidérer ce qui a été implanté de mieux pour se prémunir d’indus abus éventuels de la part de majorités vis-à-vis de minorité(s), via chartes ou lois, telles la Commission des droits de la personne, la Ligue des droits et libertés, le Barreau, etc, etc., qui, tou.te.s, à l’unisson, ont dénoncé des dispositions de la loi de la fête des pères, justement parce discriminatoire(s) à l’égard de (personnes ou groupes) minoritaires ?

    On est rendu.e.s « loin » au pays du Québec. Bien, bien loin. Très, très profond.

    Vite qu’arrive la seconde moitié du second mandat de ce PM, où celui-ci choisira de laisser sa place, selon ses dires. Alors et seulement alors, semble-t-il, (re)deviendra-t-il possible de revenir sur Terre.

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