Étudiantes de jour, escortes de nuit

La récente décision de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) de reconnaître que certaines femmes puissent choisir la prostitution comme étant un travail a fait couler beaucoup d’encre. Une décision lourde de sens pour certaines étudiantes universitaires, qui concilient leur scolarité avec le métier d’escorte afin de s’offrir des études supérieures.

« Si je n’étais pas escorte, je ne pourrais pas aller à l’école. Mes parents ne me financent pas et je ne veux pas m’endetter avec des prêts et bourses. » Raphaëlle* est étudiante à l’Université de Montréal. Âgée de 23 ans, elle ne travaille que quelques heures par semaine. Souffrant d’un trouble du déficit de l’attention, elle trouvait ardu de conjuguer ses études avec son travail de caissière dans une épicerie.

En tant qu’escorte, le nombre de clients dépend de ses envies et elle peut aisément choisir son horaire. Raphaëlle compte aussi sur l’argent que lui transfère son sugar daddy, qui habite en Colombie-Britannique et qu’elle a rencontré l’été dernier comme client à Montréal. Depuis le début de leur relation, il lui a transféré quelques centaines de dollars et lui a payé plusieurs cadeaux, bien qu’ils ne se voient que très rarement.

Panser d’anciennes blessures

Ils sont intervenant social, informaticien, chirurgien ou hommes d’affaires. Viviane*, étudiante à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a décidé très tôt d’entretenir des relations avec des hommes plus âgés afin de payer ses études. À son entrée au cégep et après avoir réalisé qu’elle n’obtiendrait aucune aide financière de ses parents, elle s’est inscrite sur SeekingArrangement, un site Web permettant de trouver des sugar daddies, des hommes qui offrent de l’argent et des biens à des femmes plus jeunes en échange de services sexuels. La femme de 26 ans, qui a vécu des abus sexuels lorsqu’elle était plus jeune, confie avoir développé une grande facilité à séparer le sexe et l’amour. « J’ai décidé, peu à peu, de reprendre le contrôle de ce qui concerne ma sexualité et le pouvoir que j’accorde aux hommes », raconte-t-elle.

Les sugar daddies ont ouvert la porte de l’industrie du sexe à Viviane. Parfois escorte indépendante, elle travaille également dans un salon de massage privé, uniquement pour hommes d’affaires. Elle y travaille depuis environ neuf mois, deux jours par semaine. Viviane voit en moyenne 12 à 17 clients par semaine au salon de massage, à un tarif de 160 $ de l’heure plus le pourboire. Sur ce montant, le salon conserve 60 $ de l’heure. C’est par l’entremise de cet emploi qu’elle a rencontré son sugar daddy du moment. En tant qu’escorte indépendante, elle demande 300 $ de l’heure par client. Elle en rencontre entre un et cinq par semaine.

Viviane se réjouit de pouvoir faire ses travaux au salon lorsqu’il n’y a pas de clients. Elle explique aussi que son sugar daddy a décidé de la prendre sous son aile, en l’aidant avec ses travaux scolaires, puisqu’il possède des compétences qui peuvent lui être utiles dans ses études. « Il aime m’enseigner par rapport à ses propres expériences et trouve plaisant de m’apprendre quelque chose. Moi, je trouve ça plaisant d’avoir un mentor », affirme-t-elle. L’homme de 59 ans lui transfère environ 1200 $ par mois pour la voir une fois par semaine. La session d’hiver arrive à grands pas et l’étudiante pourra compter sur son soutien financier.

Un choix conscient

La décision de la FFQ de reconnaître l’agentivité des femmes et le consentement à leurs activités dans l’industrie du sexe a entraîné un débat virulent. « On voulait s’assurer de soutenir l’ensemble des femmes et, pour ce faire, il faut reconnaître l’ensemble des possibilités de leurs réalités », explique la présidente de la FFQ, Gabrielle Bouchard.

Raphaëlle est d’avis que la décision de la FFQ relève du bon sens. « Être escorte m’a énormément fait grandir. J’ai appris sur ma sexualité, mais j’ai surtout appris à imposer mes limites et à me respecter », estime-t-elle.

Bien que la grande majorité de ses clients soient respectueux, Raphaëlle ajoute qu’il faut tout de même placer sa sécurité en priorité. « Il y aura toujours des hommes dotés de mauvaises intentions. Il faut simplement être prudente », constate-t-elle.

De son côté, Viviane soutient qu’elle est totalement consentante à pratiquer le travail d’escorte. « Oui, certaines personnes font ça contre leur gré, on ne peut pas le nier. Mais, pour ma part, dans le monde de l’indépendance, je vois énormément de filles qui adorent leur travail et j’en fais partie », explique l’étudiante de l’UQAM.

Désaccord de la CLES

À la suite de la décision de la FFQ, la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) a décidé de claquer la porte à l’organisation. « Nous voyons [la prostitution] comme un rapport de domination. Ceci dit, c’est important de juger l’industrie, pas les femmes qui en font partie », affirme l’organisatrice communautaire pour la CLES Jennie-Laure Sully. Elle soutient qu’être escorte ne peut être considéré comme un travail, ajoutant qu’il est essentiel de remettre en question l’existence de l’industrie du sexe dans une société égalitaire.

Selon le rapport du sous-comité de l’examen des lois sur le racolage de la Chambre des communes paru en 2006, « dans 85 % des cas sur une période de 10 ans, les auteurs d’homicides contre les femmes prostituées sont des clients ».

« En tant que société, est-on vraiment en train de dire aux jeunes femmes que, pour se payer des études, il faut donner accès à son intimité et à sa sexualité au plus offrant ? », se questionne Mme Sully.

La vie devant soi

Viviane concède qu’elle devra cesser d’être escorte, un jour ou l’autre. « Ce ne sont pas tous les conjoints qui acceptent ce travail. Je ne crois pas que je serais prête à laisser passer quelqu’un que j’aime énormément pour ça, mais je crois que ça va toujours faire partie de moi », confie-t-elle. Elle ajoute qu’il s’agit d’un moyen efficace de faire de l’argent, ce qui entraîne l’élimination d’un facteur de stress important.

Raphaëlle a l’intention de continuer à pratiquer le métier d’escorte pendant quelques années. Selon elle, la combinaison avec les études est « parfaite ». « C’est un travail qui doit être reconnu et encadré. Parce que nous, les escortes, on ne disparaîtra pas. Ça n’arrivera juste pas », insiste la jeune étudiante.

*Noms fictifs afin de conserver l’anonymat des personnes rencontrées

photo: SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS

Erratum : Dans la version précédente de ce texte, il était indiqué que Viviane reçoit 300 $ de l’heure pour un massage, alors qu’elle en reçoit dans les faits 160 $ (plus le pourboire). Sur ce montant, le salon conserve 60 $ de l’heure. C’est plutôt en tant qu’escorte indépendante qu’elle demande 300 $ de l’heure par client.

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