Sensibiliser sans aliéner

Cumulant plus de 75 millions de visionnements à travers le monde, la capsule vidéo de trois minutes, Consent – it’s simple as tea, traduite en français à l’UQAM représente bien l’efficacité de l’humour comme véhicule de sensibilisation chez un jeune public.

« Le consentement: pas si compliqué finalement! », traduction uqamienne doublée par Bernard Derome de la vidéo d’origine britannique qui explique le consentement sexuel à partir d’une invitation à boire du thé, a généré un engouement viral depuis sa mise en ligne le 24 octobre dernier. « Sur les plateformes numériques comme YouTube, les vidéos au ton plus léger, qui emploient par exemple l’humour ou la satire, ont généralement plus de succès que les vidéos au format plus traditionnel », confirme la stagiaire postdoctorale au Département de communication de l’Université de Montréal, Patrícia Dias da Silva. À son avis, l’appel à l’émotion est plus efficace que l’appel à la raison, puisque l’émotion permet d’engager les gens et de faire en sorte qu’ils seront davantage touchés par le message pour éventuellement le partager à leur tour. La chercheuse, membre du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur de l’UQAM, considère que les vidéos à vocation politique ou qui visent à sensibiliser sont particulièrement importantes en tant qu’éléments déclencheurs d’une discussion de plus grande envergure.

Dans le même ton que la vidéo du thé, le Sexual Assault Ressource Center (SARC) de Concordia a lancé en début d’année scolaire la campagne Get consent. Ask. Listen. Respect. Produits par des étudiants, les trois clips d’une vingtaine de secondes mettent en scène des fruits en animation image par image pour illustrer différentes situations liées au consentement sexuel. « Les courtes vidéos ne couvrent pas l’enjeu en profondeur, mais permettent de capter l’attention des gens vers une réflexion plus sérieuse », fait savoir la coréalisatrice, Lori Malépart-Traversy. La coordonnatrice du SARC, Jennifer Drummond abonde également dans ce sens. « L’approche légère permet de rendre la campagne plus accessible et de rejoindre davantage de personnes […] sans aliéner les gens, mais en engageant le dialogue », estime-t-elle.

Patrícia Dias da Silva insiste d’ailleurs sur l’importance d’un mariage égalitaire entre les approches émotionnelles et rationnelles des campagnes afin d’éviter les dérapages. « Si on donne trop dans l’émotion, on perd la raison et le message peut s’effacer, avise-t-elle. La peur ou le ridicule sont parfois poussés tellement loin qu’à la fin on ne comprend pas ce qui est véhiculé et on pense que ça n’a rien à voir avec la réalité. » Par exemple, les publicités-chocs de la Société d’assurance automobile du Québec n’obtiendraient pas les résultats escomptés chez les jeunes. Ces simulations de cas extrêmes entraîneraient plutôt une méfiance. « Le public peut réfuter le message en se disant que ce n’est pas parce qu’on boit un verre de vin qu’on va tuer une famille au volant, ce n’est pas l’expérience quotidienne des gens », fait valoir la chercheuse. D’un autre côté, une vidéo strictement informative ne susciterait pas assez d’intérêt pour que la campagne se propage. « La ligne est mince », reconnaît-elle.

Mme Dias da Silva ajoute que les vidéos qui utilisent des représentations abstraites comme les bonhommes allumettes ou les fruits ont l’avantage de ne cibler aucun groupe en particulier. « Les personnages n’ont pas de genre ou d’ethnie spécifique, donc ce n’est pas une attaque personnalisée envers une partie du public », fait-elle remarquer. De cette façon, le dosage de la légèreté et de l’abstraction laisse l’espace à la réflexion chez les personnes autrement plus récalcitrantes au message.

Une campagne globale contre la culture du viol

Lancé en parallèle des manifestations récentes contre les agressions sexuelles sur les campus et la culture du viol, le mouvement social Québec contre les violences sexuelles revendique entre autres la mise en place d’une campagne de sensibilisation grand public. L’une des instigatrices du mouvement, Mélanie Lemay, précise que l’initiative devra responsabiliser les agresseurs et déculpabiliser les survivantes, tout en faisant la promotion des ressources adaptées si on est victime ou témoin de comportements malsains.

La militante considère qu’une campagne-choc serait un bon moyen d’éduquer à la notion de consentement en déclenchant le débat et en soulevant les tabous pour faire avancer la cause. Elle reconnaît également que « l’humour permet d’aborder des thématiques qui seraient autrement plus lourdes. » De plus, Mme Lemay souligne l’aspect viral de certaines initiatives, comme la tournée « Sexe, égalité et consentement » menée par le rappeur Koriass dans les cégeps de la province. « Il s’agit de s’associer à des artistes qui sont déjà des modèles pour les jeunes et de les laisser produire du contenu afin de les rallier au mouvement. Le but est d’inclure le plus de personnes possible », explique-t-elle.

Photo: JEAN BALTHAZARD MONTRÉAL CAMPUS

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