«Photosensibles»: scènes argentiques

Un couple défie l’émeute pour faire place à la tendresse; un homme se dresse devant les tanks au nom de la démocratie; une enfant se meurt sous le regard d’un vautour. Depuis son invention, la photographie a le pouvoir de capter pour toujours ces instants furtifs qui imprégneront, une fois figés, nos rétines collectives. La pièce Photosensibles, à l’affiche au Théâtre Prospero, retrace avec inventivité le récit de cinq images marquantes qui reprennent ici vie dans le clair-obscur. 

La prémisse est simple: faire revivre, sous la plume de différents auteurs, l’histoire de photos emblématiques du 20e et 21e siècles. La création de la compagnie La vierge folle, qui a déjà été présentée à Québec en 2014, plonge avec originalité dans les méandres de la pellicule. En effet, la pièce est découpée en cinq scènes, chacune étant consacrée à une œuvre, mais aussi à un thème, comme le cadrage, la perspective ou la distance focale.

La force de Photosensibles est la représentation réussie de ces notions importantes en photographie grâce à la mise en scène minimaliste, mais créative, de Maxime Robin. La scénographie évoque la camera obscura et le daguerréotype, et les jeux de lumière, le diaphragme des appareils photo.

Le tout s’enchaîne en monologues intérieurs, souvent de puissants textes qui font écho aux enjeux politiques et sociaux des différentes époques associées aux photos, de la Fille à la fleur de Marc Riboud, symbole du flower power et de l’opposition en 1967 à la guerre du Viêt Nam, au Tank man de Stuart Franklin lors des manifestations de la place Tian’anmen en 1989 en Chine.

Une fusion réussie

Le mariage entre le volet documentaire et la fiction est particulièrement efficace dans la scène dédiée à Kevin Carter, lauréat d’un prix Pulitzer en 1994 pour «La fillette et le vautour», qui s’est suicidé la même année. «Il n’y a rien de pire que d’être spectateur de sa propre détresse», lance Jean-Michel Déry dans la peau du photoreporter, se faufilant près du public pour livrer avec aplomb les réflexions imaginaires de son personnage.

Comme Photosensibles est un collage, une pièce fractionnée, il reste que les ruptures de ton sont parfois un peu trop brutales. Les différents segments sont liés par la narration de Joëlle Bond, qui s’adresse comme une conférencière aux spectateurs et sollicite leur participation. Après un moment dramatique fort et intense, revenir à un ton léger et jovial brise le pouvoir d’évocation des photos à l’honneur.

La pièce demeure tout de même une audacieuse incursion dans l’univers de la photographie.

3/5

La pièce Photosensibles est présentée jusqu’au 23 avril au Théâtre Prospero.

 Photo: Jérémie Battaglia

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