Vous ne croirez jamais comment on peut gâcher l’avenir du Québec en bricolant un fantôme

Je me souviens avec une clarté déconcertante d’un après-midi au service de garde de mon école primaire. Nous étions fièrement vêtus de nos tabliers tachés de gouache multicolore, prêts à réinventer le monde avec du papier de construction et des ciseaux à bout rond.

Au programme : confection de marionnettes montées sur des bâtons Popsicle, qui prendraient vie dans un castelet bancal bricolé par une éducatrice dévouée, mais sans talent.

Il suffisait de découper la forme souhaitée dans du papier coloré, et de lui coller au dos une forme similaire, taillée dans un papier cartonné plus robuste, de manière à ce que la marionnette se tienne droite malgré nos élans lyriques. Du haut de ma créativité inégalée, j’ai choisi de tracer un fantôme, c’est-à-dire une forme de U inversée close par un zigzag.

Comme depuis un très jeune âge j’ai l’obsession de la chose bien faite, je me suis attelée à la tâche avec un soin proche de la démence. Il était pour moi inacceptable que la structure rigide de ma marionnette, faite de carton rouge et épais, ne dépasse derrière mon fantôme d’un blanc éclatant; l’entièreté de l’œuvre aurait été gâchée. J’ai donc commencé à couper le rouge. Mais pour une raison que j’ignore toujours, je tenais à ce que le fantôme ait exactement les mêmes dimensions que son support. J’ai donc commencé à couper le blanc.

Au gré de mon taillage, j’ai sans cesse créé de nouvelles inégalités, que je n’ai su régler qu’en poursuivant mes sauvages découpes. Rouge, blanc. Rouge, blanc. En quelques minutes, je suis passée d’artiste en herbe à maniaque de la purgation, hantée par l’atteinte d’un équilibre idéologique.

En somme, j’ai bousillé ma marionnette.

Certes, il me restait quelques retailles, mais qu’aurais-je pu faire de ces maigres surplus? Les recoller malhabilement à mon oeuvre, prétendre que mes coupes ne l’avaient pas affectée, et ce malgré de profonds sillons laissés dans le papier de construction? Je devais me rendre à l’évidence: du projet d’envergure que j’avais en tête, il ne restait qu’un tout petit fantôme.

Les conséquences des coupes sont presque irréversibles. Il serait bien que le ministre des Finances Carlos Leitao le réalise au plus vite, car le réinvestissement de 184 M $ annoncé en éducation pour l’année 2016-2017 ne sera pas suffisant pour panser deux années de budgets austères, qui ont amputé des ressources déjà faméliques. Les CPE, écoles, cégeps et universités saignés à blanc ont besoin de sommes substantielles pour mener à bien leur mission fondamentale.

En tailladant ses projets de société, le Québec finira au bac de retailles. Peut-être qu’un jour, un visionnaire saura quoi faire de la myriade de petits morceaux de nation arrachés çà et là. En attendant la venue de l’évangile en papier, les marionnettes, qu’elles soient en carton où à la tête de l’État, devraient éviter d’allier ciseaux et milieux scolaires.

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